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Que peut apporter l’enseignement de la philosophie aux lycéens? Quel intérêt peut-il représenter pour eux?

Publié le

Alain Champseix, Lycée Maurice-Genevoix, Ingré. 

 

Que peut apporter l’enseignement de la philosophie aux lycéens? Quel intérêt peut-il représenter pour eux? Plus précisément : que leur apporte-t-il au terme de l’enseignement secondaire et juste avant les différentes voies de l’enseignement supérieur ? = Pourquoi est-il particulièrement nécessaire en Terminale ?

Approche négative : un enseignement secondaire pourrait-il exister sans philosophie à son terme ?

Oui, en un sens : on n’a pas besoin de philosophie pour étudier les mathématiques, l’histoire-géographie, la physique, les sciences de l’ingénieur, la technologie tertiaire, le français, les langues vivantes, etc.

Mais il suffit d’énoncer cette vérité pour voir qu’il manquerait quelque chose à un tel enseignement et, donc, à la formation des élèves : le sens du général et des questions qui ne sont abordées telles qu’elles par aucune de ces disciplines.

Conséquence : l’enseignement de la philosophie ne remplace aucun enseignement, il les suppose même tous, mais aucun autre enseignement ne le remplace.

Voilà donc pour le sens de la place de la philosophie au terme de l’enseignement secondaire. Tâchons, à présent, de nous placer au point de vue de l’élève : que va-t-il gagner avec un tel enseignement ? + En quoi celui-ci peut-il consister ?

Il est évident, d’après les explications précédentes, qu’il va y gagner en ouverture d’esprit ou, ce qui revient au même, en liberté, mais une personne pragmatique pourrait rétorquer que l’Éducation nationale a avant tout une finalité sociale, qu’il est dans sa fonction de préparer à la vie professionnelle ou, du moins, à l’employabilité. Ne soyons pas idéalistes : il n’est à la portée de personne de se désintéresser de l’insertion sociale, seuls quelques élèves particuliers – une élite, en somme – sont susceptibles de s’intéresser à des questions générales en raison de leur valeur propre. Ce pragmatique pourrait même se référer à Kant : la plupart des hommes ne préfèrent-ils pas l’état de minorité ? À l’appui et de surcroît, on évoquera volontiers le consumérisme scolaire, l’ironie de l’élève qui subit sa scolarité en attendant des jours qu’il pense meilleurs tout en lorgnant vers son téléphone portable.

Il faut donc préciser : ce qui fait ou peut faire la force de l’enseignement de philosophie, ce n’est pas seulement sa nécessité théorique, mais, aussi et d’abord, sa mise en œuvre.

De ce point de vue, on peut montrer qu’il est indispensable aux élèves parce qu’il leur permet d’accéder au sens des réalités.

Pour le dire autrement, il n’est pas une simple affaire de construction conceptuelle. Certes, les concepts sont nécessaires, mais c’est dans la mesure où ils permettent de mieux comprendre et de mieux agir. On n’étudie pas, par exemple, le concept de « volonté générale » chez Rousseau simplement pour découvrir la pensée d’un auteur ou pour le simple plaisir – si tant est que cela en soit un – de la seule intelligence séparée, mais parce que l’on s’interroge sur la nature de la société humaine et, donc, une bonne part de notre réalité.

C’est ainsi, qu’en philosophie, on se préoccupe des conditions du bonheur, de la nature du droit, du sens de la force ou des sciences. On veut savoir, aussi, ce que parler veut dire, etc. Il n’y a rien de plus concret que la philosophie. Au demeurant, c’est ce caractère concret qui explique qu’elle apporte un secours précieux aux autres disciplines sans les remplacer le moins du monde : elle montre quel est leur intérêt fondamental. En effet, il vient un moment où on ne peut plus étudier l’histoire ou la mercatique sans s’interroger sur la nature de celle-là ou sur celle des échanges.

Quelques conséquences:

– La philosophie n’est pas faite que pour les philosophes, mais pour le plus grand nombre. Au demeurant, on pourrait relever que les philosophes majeurs de l’histoire n’ont jamais cherché à s’enfermer dans des cénacles intellectuels et qu’ils n’ont jamais méprisé qui que ce soit. Comprendre que la philosophie est faite pour tous en droit = vraiment philosopher.

– Parce qu’elle est concrète, cette discipline n’est pas son propre objet. L’histoire de la philosophie est secondaire et ne vaut que pour ceux qui se préparent à son enseignement. Comprendre un philosophe ce n’est pas comprendre qu’il représente un moment dans l’histoire des idées (ou, c’est selon, l’histoire tout court), mais comprendre les clefs qu’il met à notre disposition pour appréhender le réel.

– La philosophie n’est pas une philosophie, mais un exercice. On n’enseigne pas une philosophie, ce qu’on appelle parfois une vision de la vérité, parce qu’une vraie philosophie n’est pas une doctrine, mais un travail qui ne dispense personne du sien dans la réflexion (critique possible de la conception bergsonienne d’une philosophie à partir d’une intuition centrale). Un philosophe n’est jamais un maître à penser. Par conséquent, l’enseignement de la philosophie ne s’adosse à aucune philosophie officielle pour la bonne raison que ça n’a pas de sens. C’est au professeur de choisir, d’après sa propre culture (et, donc, non d’après une simple opinion particulière) quel est, selon lui, la meilleure voie d’accès au concret pour ses élèves. S’il estime, par exemple, que le courant de la philosophie analytique anglo-saxonne peut aider les lycéens à mieux poser les questions, il n’y a aucun problème. Il n’y aurait difficulté que s’il adoptait une position dogmatique qui, il est vrai, existe chez de nombreux affiliés de cette école, selon laquelle la philosophie analytique est la seule philosophie et que toute philosophie antérieure est dans l’erreur parce que « métaphysique ».

– Parce que tout le monde est susceptible d’avoir affaire au concret, le professeur peut aider l’élève, mais pas se substituer à lui. Telle est la raison d’être de la dissertation : on demande à l’élève de s’essayer à étudier une question réelle (non rhétorique). La dissertation a donc un sens scolaire et non scolaire : on ne découvre la philosophie (et les grands philosophes) qu’en se mettant à philosopher. La philosophie ne se réduit pas à la dissertation – les grands philosophes n’ont pas nécessairement rédigé de dissertation, mais il ne s’agit pas de devenir un grand philosophe, il s’agit de commencer et c’est toujours le commencement qui est précieux en philosophie. Chiasme : le sens scolaire de la dissertation est philosophique, le sens philosophique de la dissertation est scolaire.

 

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