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Contribution de l’Appep à la mission « Exigence des savoirs »

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Thématique 1 — Programme et contenus

Les programmes de philosophie du tronc commun

L’Appep se satisfait des programmes en vigueur depuis le 25 juillet 2019, dans la mesure où ils portent sur des notions choisies parmi les plus communes. Celles-ci permettent d’éclairer des questions actuelles tout en posant des problèmes fondamentaux pour la pensée. L’Appep estime donc que la question de la modernisation des programmes ne se pose pas en philosophie.

Un programme notionnel présente un triple avantage. Parce que ces notions font immédiatement sens pour les élèves, elles n’exigent de leur part aucune érudition préalable. À cet égard, le programme en vigueur est le mieux ajusté à l’enseignement de la philosophie comme enseignement commun dispensé dans toutes les classes terminales et le plus conforme à l’exigence de mixité sociale et scolaire. Parce qu’il n’impose aucune orientation doctrinale, un programme notionnel garantit deux principes indissociables et consubstantiels à l’enseignement de la philosophie : le pluralisme philosophique et la liberté pédagogique du professeur. Il offre, enfin, l’avantage de la simplicité et de la lisibilité.

L’examen des notions s’appuie sur l’étude suivie d’une œuvre philosophique. L’Appep se satisfait que cette œuvre soit librement choisie par le professeur dans la liste des auteurs au programme et que son étude soit inséparable de l’examen des notions, celui-ci constituant le centre de gravité de l’enseignement de la philosophie.

Cet examen et l’étude de l’œuvre sont précisés par « des repères que le professeur sollicite dans la conduite de son enseignement1 », présentés sous la forme de distinctions lexicales et conceptuelles. L’Appep se satisfait que « [ces] repères ne [fassent] en aucun cas l’objet d’un enseignement séparé ». Ils ne correspondent nullement à des définitions figées que les élèves auraient à apprendre par cœur, mais servent de points d’appui à la réflexion philosophique et à la compréhension des textes.

Par conséquent, l’Appep estime que l’enseignement de la philosophie aurait tout à perdre d’une modification substantielle des programmes. L’introduction de contenus doctrinaux (sous la forme d’œuvres ou de problèmes dont l’étude serait imposée), a fortiori le remplacement des actuels programmes par un enseignement d’histoire de la philosophie iraient à l’encontre des besoins des élèves. L’Appep constate en outre que les programmes actuels font l’objet d’un large consensus. Les professeurs de philosophie, recrutés par des concours très sélectifs, sont en effet attachés au principe de leur responsabilité intellectuelle et à l’idée qu’ils sont les auteurs de leur cours. L’Appep considère par ailleurs qu’une surdétermination des programmes serait préjudiciable à leur lisibilité et générerait une dispersion qui ferait obstacle à l’appropriation par les élèves d’une culture philosophique initiale.

L’Appep juge toutefois souhaitable de réduire le nombre des notions (de 17 à 15 dans la voie générale et de 7 à 5 dans la voie technologique). Cet allègement ne constituerait nullement un abaissement du niveau. Tout au contraire, il faciliterait l’appropriation par les élèves des connaissances et des méthodes. Les programmes, en outre, gagneraient à être davantage structurés. Les notions y sont actuellement présentées selon l’ordre arbitraire de l’alphabet. Elles sont ordonnées à des perspectives qui, au lieu de déterminer et de limiter les sujets pouvant être donnés au baccalauréat, les multiplient. Pour cadrer davantage les sujets de l’examen, l’Appep souhaite que les notions soient inscrites dans des champs. Ceux-ci correspondraient aux grands domaines dans lesquels s’exerce la réflexion philosophique (« la connaissance », « la morale », « la politique »).

Les programmes privilégient deux exercices, l’explication de texte et la dissertation, sur lesquels porte l’épreuve du baccalauréat. L’Appep estime qu’ils sont les mieux ajustés aux finalités de l’enseignement de la philosophie au lycée et à la préparation des études supérieures.

Les programmes de la spécialité «Humanités, littérature et philosophie».

Les programmes de la spécialité HLP contrastent désavantageusement avec les programmes de notions du tronc commun. Peu intelligibles, bavards, ils sont de surcroît très lourds et exigent une érudition inaccessible à la grande majorité des élèves. Leur indétermination rend les sujets proposés à l’examen très aléatoires. Ces programmes, enfin, imposent des choix et des délimitations incompatibles avec la liberté pédagogique des professeurs.

Pour que les élèves puissent se les approprier et enrichir leur culture générale, les programmes d’HLP doivent impérativement gagner en simplicité et en lisibilité. Les programmes de philosophie de tronc commun constituent, en ce sens, un modèle à suivre. L’Appep demande donc que les programmes d’HLP portent sur des notions communes qui incitent les élèves à interroger leurs représentations spontanées et n’imposent aux professeurs aucune orientation doctrinale. Les professeurs de lettres et de philosophie qui enseignent conjointement cette spécialité pourraient expliciter ces notions à partir des connaissances et des œuvres de leurs disciplines respectives.

Les exercices proposés au baccalauréat (« l’interprétation » d’un texte et un « essai ») posent un problème particulièrement aigu. Leurs attendus sont trop flous pour que les copies d’examen puissent être évaluées avec sérénité, rigueur et équité. Ces exercices, de plus, ne correspondent à aucune des méthodes attendues dans l’enseignement supérieur. Ils ne correspondent pas non plus à celles que les élèves apprennent en français et en philosophie. Il est particulièrement dommageable que la spécialité HLP, à cet égard, ne constitue ni un prolongement ni un approfondissement des cours de philosophie et de français. Pour remédier à cette incohérence, l’Appep souhaite que l’épreuve porte sur un texte de philosophie ou de littérature, laissé au libre choix des candidats, qu’ils pourront expliquer en quatre heures.

L’intelligence artificielle et l’usage des outils numériques

L’enseignement de philosophie permet d’apprendre à distinguer l’intelligence algorithmique de l’intelligence humaine. Il invite à réfléchir aux limites de l’intelligence artificielle et à découvrir que l’intelligence humaine, en tant qu’elle émane d’un sujet, ne se réduit pas à des procédés de calcul. Le professeur de philosophie montre très concrètement aux élèves que l’acte de penser ne consiste pas à articuler des contenus doxographiques selon un plan qui s’imposerait de l’extérieur ou à trouver des arguments pour étayer telle ou telle opinion, choses qu’une intelligence artificielle est capable de faire. Il leur montre que la pensée, en tant qu’expérience de soi et du monde, s’exerce en rencontrant une difficulté, en cherchant à l’élucider, en traçant son chemin propre et en s’interrogeant à chaque étape de la réflexion.

Plus généralement, les élèves apprennent en philosophie à ne pas confondre information et connaissance, mais aussi à se rendre attentifs aux statuts des textes pour en saisir la singularité, en distinguant, par exemple, un texte constitutionnel d’un texte littéraire, politique, journalistique ou scientifique.

Thématique 2 — Pratiques pédagogiques

L’évaluation

Les professeurs corrigent l’épreuve de philosophie tous les ans. Ils ont ainsi acquis une longue expérience de l’évaluation certificative. Cette expérience s’enrichit des échanges avec leurs pairs, dont les réunions d’entente et d’harmonisation leur donnent chaque année l’occasion.

L’épreuve du baccalauréat offre à l’évaluation formative un cadre précieux, en fixant nationalement un niveau d’exigence attendu. Aussi l’Appep tient-elle à ce que la philosophie continue d’être évaluée par une épreuve terminale, nationale et anonyme.

Elle déplore toutefois que le coefficient affecté à l’épreuve de philosophie soit aussi dérisoire, et même humiliant. En tout état de cause, il ne récompense pas à sa juste valeur le travail patient et exigeant que les élèves accomplissent tout au long de l’année scolaire ni le très lourd travail d’évaluation que les professeurs de philosophie réalisent pour les faire progresser vers le niveau d’exigence attendu au baccalauréat. L’Appep demande donc une réévaluation significative du coefficient.

La formation

La question du niveau des élèves est étroitement liée à celle du niveau scientifique des professeurs. L’Appep demande par conséquent que les concours de recrutement évaluent exclusivement l’acquisition des savoirs et des méthodes propres à une discipline. Elle déplore que la réforme du Capes externe de 2021 ait sensiblement diminué la place accordée à la maîtrise disciplinaire. Elle dénonce singulièrement la seconde épreuve d’admission qui s’apparente à un entretien d’embauche impossible à évaluer avec équité. Elle demande que cette épreuve soit remplacée par une épreuve disciplinaire.

Les conditions d’entrée dans le métier sont difficiles et souvent décourageantes. L’Appep estime qu’elle doit être beaucoup plus progressive. Les lauréats des concours de recrutement doivent disposer, pendant leur année de stage, d’un temps plus important pour élaborer leurs cours. Il faudrait, à tout le moins, que les titulaires d’un master MEEF bénéficient du même service que les autres stagiaires. Les stagiaires doivent aussi pouvoir bénéficier d’un compagnonnage durant leurs trois premières années d’enseignement.

L’Appep déplore que la formation continue réponde trop rarement aux besoins des professeurs et des élèves.

De façon plus générale, elle tient à rappeler qu’un professeur exerce une profession intellectuelle. On ne saurait donc le réduire au rôle de technicien de l’éducation ou d’expert dans la transmission de « ressources pédagogiques ». Plus le professeur aura le temps de lire, de se cultiver, de construire ses cours, d’actualiser ses connaissances, plus il sera en mesure d’élever le niveau de ses élèves.

Les manuels

L’Appep estime qu’il est de la responsabilité de chaque professeur d’utiliser ou non un manuel et de choisir, le cas échéant, celui qui lui paraît le plus pertinent. Les manuels ne sauraient avoir d’autres fonctions que de servir d’éventuels points d’appui au travail du professeur comme des élèves.

Thématique 3 — Organisation pédagogique

La reconstruction de la classe

La réforme du lycée a fait disparaître la classe comme unité de l’enseignement scolaire. Cette disparition est particulièrement préjudiciable aux élèves les plus fragiles. Elle rend en effet impossible tout suivi individuel. Elle induit, de plus, une désorganisation des emplois du temps qui complique la tenue régulière de devoirs sur table en quatre heures. L’Appep attire donc l’attention du ministère sur la nécessité de reconstruire, en première et en terminale, la classe comme groupe de référence.

Les volumes horaires dévolus à l’enseignement de la philosophie

L’enseignement de la philosophie représente quatre heures hebdomadaires dans la voie générale. Au regard des exigences de cette discipline et de ce qu’elle apporte aux élèves, cet horaire est un minimum.

Depuis la réforme mise en œuvre par Luc Chatel en 2010, le dédoublement de la deuxième heure de philosophie dans la voie technologique n’est plus garanti nationalement. L’Appep déplore d’autant plus cet état de fait que l’enjeu démocratique et républicain de l’enseignement de la philosophie est particulièrement sensible dans cette voie. Elle constate que les professeurs de philosophie n’obtiennent pas tous ce dédoublement. Il correspond pourtant à une réelle nécessité pédagogique, les élèves de la voie technologique ayant tout particulièrement besoin d’être accompagnés et encadrés. Pour que tous les élèves puissent bénéficier du travail en demi-groupes et progresser, l’Appep demande avec insistance que le dédoublement de la deuxième heure soit garanti nationalement.

Le lien avec l’enseignement supérieur

L’enseignement de la philosophie joue un rôle essentiel dans la préparation des élèves à l’enseignement supérieur, qu’ils se destinent ou non à suivre des études de philosophie.

Les exercices privilégiés en terminale (la dissertation et l’explication de texte) constituent une excellente propédeutique. L’explication de texte apprend aux élèves à se confronter à une autre pensée, à lire attentivement un texte en tenant compte de ses aspérités, à en comprendre la logique interne, à en expliciter précisément et rigoureusement le sens, et à instaurer un rapport critique à ce qu’il dit. La dissertation leur apprend à formuler leur pensée dans une langue claire et intelligible, à élaborer un problème en explicitant les enjeux d’une question, à construire leur jugement critique, à présenter leurs idées sous la forme d’un raisonnement rigoureux qui s’appuie sur des distinctions conceptuelles, et à évaluer le poids d’un argument.

La culture que les élèves acquièrent en philosophie, en tant qu’elle s’appuie sur les arts, la littérature, les sciences expérimentales et les sciences humaines, constitue aussi un bagage précieux pour se préparer aux études supérieures.

Thématique 4 — Culture générale

L’apport de la philosophie à la maîtrise du français

La philosophie contribue tout particulièrement à renforcer ce savoir fondamental qu’est la maîtrise du français. La confrontation aux grands textes de la tradition philosophique permet aux élèves d’enrichir leur vocabulaire. Elle leur apprend aussi à se rendre attentifs à la structure syntaxique et logique des phrases. Le travail de conceptualisation auquel le professeur les invite régulièrement contribue à dissiper les confusions entretenues par les usages, à user d’un vocabulaire précis et à découvrir que le mot ne se confond pas avec l’idée.

L’enseignement de la philosophie permet de développer et d’approfondir la pratique de l’écriture, en en rappelant constamment les exigences de rigueur et de clarté. Dans la mesure où il ménage une place importante à l’oralité, le cours de philosophie apprend aussi aux élèves à se rendre maîtres de leur parole, en formulant posément et explicitement leurs idées, en tenant compte des objections qui peuvent leur être faites, et en respectant les règles du dialogue.

La place de la philosophie dans la culture générale

La philosophie s’inscrit, comme toutes les disciplines, dans la culture générale. Mais son rapport à celle-ci n’en demeure pas moins singulier.

Parce qu’il s’appuie sur des connaissances scientifiques, techniques, artistiques, historiques, l’enseignement de la philosophie offre aux élèves une approche synthétique de la culture.

Parce qu’il accorde une place importante à l’épistémologie, cet enseignement contribue à inscrire la culture scientifique dans la culture générale. À partir d’exemples précis que le professeur analyse en classe, les élèves peuvent interroger les conditions de possibilité des sciences, leurs méthodes et leur prétention à l’objectivité. En restituant le plus exactement possible l’approche, le langage, les écoles et les controverses scientifiques, le professeur de philosophie est le plus à même de faire apparaître la manière dont les sciences se construisent, mais aussi ce qui distingue un savoir d’une croyance ou d’une simple opinion. Le cours de philosophie permet, enfin, de réfléchir aux grandes questions que la science engage, par exemple celles du hasard, de la finalité et de la nécessité.

L’enseignement de la philosophie, par ailleurs, permet de questionner les principes qui fondent les valeurs morales ou politiques dont se réclament les individus. La philosophie, en effet, ne s’en tient pas aux origines historiques, mais examine ce qui fonde les valeurs et les rend légitimes. À cet égard, sa contribution à l’enseignement moral et civique est irremplaçable. La réflexion critique des fondements permet en effet de combattre le relativisme spontané qu’une approche seulement historique des valeurs pourrait conforter.

La philosophie, enfin, est la seule discipline, ès qualités, à prendre directement en charge les grandes questions existentielles et métaphysiques. Compte tenu de l’importance que celles-ci revêtent aux yeux des élèves et des retournements obscurantistes auxquels leurs questionnements peuvent donner lieu, il est crucial qu’ils puissent découvrir que ces questions sont susceptibles d’un traitement rationnel.


Si l’on se préoccupe vraiment du niveau des élèves, on ne peut pas se payer de mots. Il faut que les conditions concrètes de leur travail et du travail des professeurs soient prises en compte. Dans cette perspective, l’Appep fait les propositions suivantes : 

Sur la formation :

  • Initiale :
  1. Les concours de recrutement doivent évaluer exclusivement la maîtrise des savoirs disciplinaires.
  2. Une entrée plus progressive dans le métier doit être assurée.
  • Continue :
  1. Son haut niveau scientifique doit être garanti.
  2. Elle ne doit pas imposer de pratiques pédagogiques aux professeurs.
  3. Pour la formation pédagogique, le travail entre pairs doit être privilégié.
  4. La participation à des colloques scientifiques en dehors du PAF doit être prise en compte.
  5. Le travail des doctorants doit être reconnu par l’institution.
  6. L’Appep juge primordial que les emplois du temps laissent aux professeurs des demi-journées pour organiser librement leur travail : préparer leurs cours, cultiver leurs connaissances et nourrir leur réflexion. 

Sur le travail des élèves : 

  1. Garantir le travail en demi-groupe dans les classes de la voie technologique.
  2. Donner la possibilité de travailler en demi-groupe dans la voie générale.
  3. Inscrire dans les emplois du temps des élèves des plages de 4 heures pour l’organisation des devoirs sur table.

Sur le contenu des enseignements en philosophie :

  1. Réduire le nombre des notions du programme.
  2. Supprimer les perspectives.
  3. Inscrire les notions dans des champs philosophiques.

Sur le contenu des enseignements en HLP : 

  1. Simplifier et clarifier les programmes.
  2. Redéfinir l’épreuve.
  3. Donner aux candidats le choix entre deux sujets.

 

  1. Préambule des programmes de philosophie des terminales générale et technologique de 2020.