Après avoir remplacé les épreuves terminales, nationales et anonymes du baccalauréat par le contrôle continu dans la majeure partie des disciplines, le ministère semble découvrir qu’il a privé celui-ci de sa valeur certificative. Dans une note de service publiée le 28 juillet dernier, il a ainsi demandé aux professeurs de conduire dès la rentrée «une réflexion au sein de chaque établissement, avec l’appui des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux référents, afin de définir un projet d’évaluation». Rédigé dans la foulée par les différents corps d’Inspection, un «guide de l’évaluation» sert de cadrage à cette «réflexion collégiale» qui a d’ores et déjà débuté dans les lycées sous autorité des proviseurs. Celle-ci doit aboutir à la rédaction d’un Plan local d’évaluation qui sera avalisé par le conseil pédagogique et le conseil d’administration de chaque établissement.
Ce projet d’évaluation affiche deux objectifs : servir de «cadre dans lequel [chaque professeur] inscrira ensuite sa pratique d’évaluation» ; garantir l’égalité de traitement entre les candidats au baccalauréat. Il appelle, à ce titre, deux remarques générales :
1. En feignant de sauver la valeur nationale du diplôme par ce moyen dérisoire, le ministère contrevient au principe de la liberté pédagogique que le Code de l’éducation garantit pourtant à chaque professeur1. Car en fixant, pour les disciplines concernées, des principes rigides, le plan local d’évaluation dessaisira les enseignants de leur responsabilité professionnelle d’apprécier les modalités d’évaluation qui conviennent à leurs classes et à leurs élèves. Et en uniformisant ces modalités, il imposera aux professeurs des pratiques pédagogiques, faisant fi des spécificités disciplinaires.
Ce plan risque donc bien d’être un carcan, a fortiori s’il est inscrit dans le projet de l’établissement. Loin de protéger les professeurs des pressions qui peuvent s’exercer sur eux, il pourra être un instrument de contrôle et un moyen de pression pour les élèves et leurs parents. Sous prétexte d’harmonisation, le nombre, le type et l’évaluation des devoirs, et avec eux l’ensemble du travail mené avec les élèves seront étroitement contrôlés tout au long de l’année par les instances administratives des établissements.
2. Parce qu’il est local, ce plan d’évaluation ne peut garantir l’égalité de traitement des candidats à un diplôme national. Les commissions d’harmonisation académiques créées il y a deux ans seront impuissantes à résoudre cette contradiction. Leur titre est d’ailleurs usurpé puisqu’elles n’«harmonisent» pas les notes obtenues par les élèves (ce qui supposerait qu’elles aient accès aux devoirs qu’ils ont faits pendant l’année). En réalité, ces commissions nivellent mécaniquement, et donc arbitrairement, leurs moyennes à partir de statistiques fournies par les rectorats.
Nonobstant la note sibylline figurant en page 7 du guide de l’évaluation2, la philosophie, dont l’enseignement est sanctionné par une épreuve terminale, n’est pas réglementairement concernée par ce plan local d’évaluation. La note de service du 28 juillet ne s’applique en effet qu’aux disciplines évaluées en contrôle continu. Plutôt que de presser les professeurs de philosophie à élaborer leur propre charte d’évaluation, les autorités administrative et pédagogique devraient veiller à ce qu’ils puissent organiser régulièrement des devoirs en temps limité. Ces derniers, outre qu’ils réduisent les occasions de «copier-coller», sont en effet des exercices intrinsèquement formateurs et préparent à l’épreuve d’examen.
Seuls sont concernés les professeurs de philosophie enseignant la spécialité «Humanités, Littérature et Philosophie» en classe de première, puisque la note des « renonçants » correspond à leur moyenne annuelle. On peut s’étonner toutefois de ce que les recommandations du «guide de l’évaluation» consistent à exiger des élèves deux fois plus de travaux que dans les autres spécialités. Celui-ci préconise en effet «un minimum de trois notes d’écrit et d’une note d’oral (en philosophie et en lettres)». Cette préconisation ne tient aucun compte du fait que le temps de cours pour chaque discipline de cette spécialité bicéphale est divisé par deux. On se demande, en l’occurrence, où est l’équité.
En conséquence :
- L’APPEP invite les professeurs de philosophie à faire valoir la note du 28 juillet 2021 et à rappeler à leur autorité administrative que le guide de l’évaluation n’expose que des « préconisations » qui n’ont aucune valeur réglementaire.
- Elle recommande à ceux qui sont victimes ou témoins d’atteintes à leur liberté pédagogique à répondre à l’appel à témoignages qu’elle a lancé à la rentrée.
- Elle réclame la restauration des épreuves terminales, nationales et anonymes du baccalauréat, seules à même de garantir l’égalité de traitement des candidats.
- Elle réclame corrélativement la suppression du contrôle continu, qui retire à l’évaluation sa dimension formative et au baccalauréat sa dimension certificative, et qui empêche les élèves de travailler sereinement.
- Elle rappelle son attachement indéfectible au principe de la liberté pédagogique du professeur, laquelle est requise par la tâche de formateurs qui est avant tout la leur.
- Article L912-1-1 du Code de l’éducation : «la liberté pédagogique de l’enseignant s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. Le conseil pédagogique prévu à l’article L. 421-5 ne peut porter atteinte à cette liberté.»
- «On rappelle que les notes des bulletins de ces disciplines [le français, la philosophie et les spécialités de terminale] ne sont pas prises en compte dans le calcul réalisé pour l’obtention du baccalauréat mais sont néanmoins concernées par le projet d’évaluation.»