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L’APPEP interpelle les candidats à l’élection présidentielle

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L’Association des professeurs de l’enseignement public a acquis une expertise indéniable des difficultés et besoins de l’enseignement de la philosophie, aussi bien du point de vue des élèves que de celui des professeurs, et intervient régulièrement dans le débat public en étroite coopération avec d’autres associations au sein de la Conférence des professeurs spécialistes. Elle se fait un devoir, à l’occasion de la campagne électorale pour l’élection présidentielle, d’avertir le public et d’interpeller les candidats, leurs équipes de campagne, ainsi que les représentants politiques, à propos des problèmes à trancher et aussi bien de certaines directions à prendre, dans les domaines dont la pratique de l’enseignement des professeurs de philosophie lui a donné une connaissance fine.

L’APPEP doit tout d’abord redire que les réformes imposées par le ministre Blanquer ne se sont pas contentées de créer un profond malaise du fait de la violence avec laquelle elles ont été imposées. Les nombreuses décisions prises en guise de solutions aux manquements du lycée dans son état antérieur, loin de témoigner d’un esprit de responsabilité attentif aux problèmes réels, ont toutes été l’expression d’un processus de déstabilisation générale des équilibres, aux dépens de toute sérénité des élèves aussi bien que des professeurs.
Rappelons-en divers aspects : la substitution aux séries d’un système de spécialités mettant la plupart des disciplines en compétition les unes avec les autres ; la suppression de facto du baccalauréat comme examen national en vertu d’un principe d’évaluation menée localement et par étapes au cours de l’année, dispositif propre à créer des pressions sur les évaluateurs et qui met gravement en danger l’équité, tout en risquant de discréditer les professeurs aux yeux de leurs élèves, évidemment très peu dupes des notes généreuses attribuées avec l’arrière-pensée de leur portée dans des dossiers de candidature pour le supérieur ; le processus inquiétant, amorcé par « Pix », d’externalisation de la certification des compétences numériques, linguistiques, du niveau d’orthographe et de grammaire, qui montre à quel point l’évaluation faite au lycée ainsi que le baccalauréat ont perdu toute valeur certificative aux yeux du ministère comme à ceux des élèves ; l’improvisation d’une épreuve de « grand oral » à peine adossée à de quelconques apprentissages, et qui discrédite l’oralité au lieu de lui donner sa place légitime ; l’extraordinaire complication des démarches d’orientation en terminale induite par le protocole Parcoursup, chronophage et souvent angoissant pour les élèves en ces temps pourtant cruciaux pour les apprentissages, et qui en outre ne garantit pas une juste rencontre entre les demandes des élèves et l’offre de formation, voire accroît les injustices en imposant aux élèves d’obéir à des règles parfois absurdes, devant lesquelles certains sont démunis ; plus récemment, l’annonce d’une extinction du corps des inspecteurs généraux, qui vient confirmer une tendance lourde à faire plier le système éducatif en acceptant le risque de le mettre sous la tutelle d’intérêts étrangers au service public d’éducation ; ou encore le renforcement incessant de ce qu’il est convenu d’appeler « autonomie des établissements », qui pousse les chefs d’établissement, souvent bien malgré eux, à des démarches autoritaires d’urgence appuyées sur des simulacres locaux de consultation des équipes tétanisées. Toutes ces distorsions imposées à notre système éducatif sans débat de fond et au nom d’évidences à l’esprit managérial hors de propos, parfois sous l’apparence mensongère d’une velléité restauratrice d’exigences fortes, mais que les réformes pratiquées ne font que démentir, ont mis le lycée dans une situation d’immense désarroi, d’épuisement et de démoralisation, qui réclame des soins d’urgence.
Des difficultés existaient ; l’APPEP en avait témoigné. Il s’agissait en particulier des difficultés rencontrées par les enseignants pour faire leur travail et notamment, en ce qui concerne la philosophie, de la lourdeur des programmes, dont l’allègement était indispensable à une authentique appropriation des démarches intellectuelles de la philosophie, si capitales à la conception républicaine de l’enseignement scolaire, ou encore de la lourdeur des effectifs, en particulier dans les séries technologiques où l’accomplissement de la mission était souvent le plus difficile. Il s’agissait également de garantir à l’enseignement de la philosophie un personnel enseignant d’autant plus efficace dans ses tâches qu’il serait moins précarisé, et donc d’en finir avec le dévoiement consistant à recourir massivement au statut de contractuel ou à dé-professionnaliser un concours comme le CAPES sous couvert de le « professionnaliser » en donnant une place toujours plus grande à des épreuves sans rapport avec la discipline d’enseignement.
Or, des besoins réels dont l’APPEP avait pu se faire l’écho, aucun n’a été satisfait ; les choses se sont au contraire aggravées. Les professeurs de philosophie n’ont par ailleurs jamais été dupes de la prétendue sanctuarisation de la philosophie comme discipline universelle, et cela d’autant moins qu’elle semblerait presque devenir la version écrite d’un « grand oral » dont la présence mitoyenne en extrême fin de parcours (on pourrait presque parler de relégation, dans l’éloignement de toutes les autres épreuves) n’est pas faite pour rassurer. Ils constatent plutôt que la réforme a produit un éclatement de leurs services entre la spécialité « Humanités, littérature et philosophie » et la philosophie générale, éclatement confinant parfois à l’absurde, avec une spécialisation philosophique en première avant même que ne commence l’initiation en terminale. On est loin de la proposition bien fondée d’une filière littéraire rénovée et attractive. Ils constatent aussi que la réforme a alourdi leurs services et augmenté le nombre d’élèves dont ils ont la responsabilité, les transformant ainsi en machines à évaluer les copies.

Ainsi, concernant le système éducatif et son avenir, l’APPEP attire l’attention des acteurs de la vie politique, et en particulier des candidats à l’élection présidentielle, sur les questions suivantes :

– Concernant l’état général du lycée, tout d’abord, quelles dispositions sont-ils prêts à mettre en œuvre pour rendre aux deux dernières années de lycée, si essentielles à la formation intellectuelle et civile des jeunes, la sérénité dont ces années ont besoin ? Il faudra en effet garantir que l’enseignement secondaire s’achève avec un examen évalué de manière absolument impartiale, selon des critères identiques en tout point du territoire de la République, et selon des exigences raisonnables, sans prétentions excessives à l’érudition, mais aussi sans renoncement à la qualité des savoirs et savoir-faire, et néanmoins réellement accessibles à tous les lycéens. Cela implique le rétablissement du baccalauréat comme examen terminal, anonyme et national. Il faudra également revenir sur les contre-réformes autoritairement imposées au cours du dernier quinquennat et repartir d’une réelle concertation, faisant appel à l’expertise si indispensable des corps enseignants, que ce soit sur le plan de l’organisation des enseignements et des examens ou sur celui de l’orientation vers l’enseignement supérieur. Il ne faudra pas non plus oublier la nécessité de reconstituer le groupe classe, cadre majeur (et malheureusement défiguré par la réforme) de l’efficacité des lycéens dans leur travail, tout autant que de leur socialisation.

– La qualité et la disponibilité des enseignants requièrent d’autres décisions fortes. Il faudra garantir que les professeurs disposent de toute la liberté pédagogique nécessaire au degré de responsabilité inhérent à leur métier. Il faudra assurer que l’encadrement, le conseil et l’évaluation des professeurs puissent se faire de manière constructive, entièrement dévouée à la tâche prescrite, notamment grâce à des corps d’inspection soucieux de les soutenir dans leurs expériences et de respecter sans dogmatisme les choix pédagogiques dont la cohérence leur aura été exposée par des professeurs eux-mêmes légitimes du fait du concours exigeant qu’ils ont réussi. La distinction entre le pédagogique et l’administratif doit être clairement réaffirmée et il ne saurait être question, sous prétexte d’« autonomie des établissements », que le chef d’établissement se substitue d’une quelconque façon aux enseignants pour déterminer de ce qui est pédagogiquement nécessaire, notamment sur le plan de l’évaluation. Il serait temps de reconnaître l’indécence de la manière dont les enseignants sont globalement traités sur le plan matériel, dans un pays où le niveau de rémunération de leur métier hautement qualifié est nettement inférieur à ce qui se pratique pour des fonctions de compétence équivalente. La préservation de conditions de travail sereines étant essentielle à la qualité de l’enseignement, il faut se refuser au recours simpliste à des méthodes de gestion qui peuvent les affecter, comme l’annualisation du temps de travail, d’ailleurs contraire à l’intérêt des élèves, dont les apprentissages demandent de la régularité.

– La situation créée par l’épidémie de covid a rendu sensible à tous le caractère absolument indispensable de la relation directe des enseignants à leurs élèves. L’évidence a ainsi été rappelée que la classe est le lieu véritable de réalisation de la mission éducative de l’école. Il est urgent d’en tirer la conséquence tout aussi évidente que sans considération du ministère à l’égard de la parole des professeurs, aucune solution authentique ne pourra être trouvée aux difficultés nombreuses qui demeurent, voire se sont multipliées.

– En ces temps inquiétants de banalisation d’une pensée sociale radicalement contraire à la définition constitutionnelle de notre pays comme « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », quelles décisions sera-t-on disposé à prendre pour assurer le système éducatif dans son rôle de pierre angulaire de cette définition républicaine de la société, définition qui donne leur sens aux principes de liberté de l’enseignement, de gratuité, de neutralité, de laïcité et d’obligation scolaire ? Est-on prêt à faire face aux idéologies identitaires, si évidemment contraires au principe d’égalité ? Comment l’Éducation nationale peut-elle œuvrer pour réduire les méfaits des idéologies complotistes alimentées notamment par les réseaux sociaux, propagatrices de haine et de falsification de l’histoire ? Quel usage les candidats à l’élection présidentielle sont-ils disposés à faire des leviers très réels que constituent les savoirs, notamment philosophiques ?

– Concernant proprement la philosophie et son avenir, sera-t-on prêt à agir pour que tous les élèves bénéficient de cette précieuse ressource, marqueur fondamental du système éducatif français, et cela sans qu’elle devienne un simple passage obligé, objet d’une épreuve vite préparée, passée après toutes les autres, sous la forme d’un exercice de prose sans rigueur logique ni responsabilité critique ? Ce travail demande du temps. Il faudra pour cela un allègement des programmes, l’horaire actuellement accordé à la philosophie demeurant un minimum. Il faudra repenser la place de l’enseignement de la philosophie : elle doit redevenir l’un des piliers d’une filière lettres/sciences humaines ou juridiques renouvelée, tout en demeurant une discipline étudiée avec sérieux dans toutes les filières. Il faudra également donner à la philosophie la place qu’elle mérite dans l’enseignement moral et civique, comme l’APPEP l’a proposé et justifié avec constance depuis plusieurs années. La préservation de l’enseignement de la philosophie suppose que la recherche universitaire en philosophie, dont le rayonnement international reste grand, soit elle aussi courageusement soutenue. Il en va de même des classes préparatoires aux grandes écoles, où la philosophie doit étendre sa présence indispensable, qui ont fait leurs preuves dans la qualité mondialement reconnue des écoles auxquelles elles préparent, et dans la solidité de la formation qu’elles offrent aux élèves qui poursuivent ensuite leurs études à l’université.

Sur l’ensemble de ces questions dont l’enjeu est l’avenir de notre système éducatif (programmes et examens du lycée, conditions de travail des professeurs, prise en compte de leur parole, préservation d’une école de la République et devenir de l’enseignement de la philosophie), l’APPEP souhaite connaître la position des candidats à l’élection présidentielle.

L’APPEP publiera sur son site les réponses qu’elle recevra.


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