Catégories ÉditoriauxCatégories Réforme Blanquer

Crise de confiance

Publié le

La crise sanitaire a confirmé une crise de confiance sans précédent entre les professeurs de philosophie et leur hiérarchie.

Les professeurs au pilori

En répétant dans les médias que tous les élèves seraient accueillis dans les établissements scolaires, alors que les consignes sanitaires rendaient cet accueil impossible, Jean-Michel Blanquer a dirigé contre les professeurs la colère des parents surpris que leurs enfants ne puissent retrouver leur salle de classe, et les a ainsi cloués au pilori. Sauf exception, les professeurs de philosophie n’ont pas été directement pris pour cible par l’opinion publique, car les lycées n’étaient pas concernés par la réouverture complète, mais ils ont été atteints par le discrédit illégitime qui a touché la profession, et contre lequel le ministre ne s’est pas élevé.

Des consignes trompeuses

Ils ont en revanche subi l’obstination incompréhensible de l’inspection générale, qui a tardé à tenir compte des consignes ministérielles pour l’oral du second groupe. Dès le mois d’avril, le ministère avait en effet annoncé que les élèves ne seraient interrogés à l’oral «que sur ce qui a été effectivement traité en classe avant la fermeture des établissements» . L’APPEP a aussitôt demandé que les professeurs n’ayant pas étudié d’œuvre suivie avant le confinement soient libres de composer leur liste avec des éléments du cours. Elle espérait qu’il soit ainsi fait confiance à leur intelligence pédagogique et professionnelle. Mais l’inspection générale a attendu le 4 juin pour adapter à la philosophie les consignes ministérielles d’avril. Entre-temps, elle a maintenu l’ambiguïté si bien que de nombreux professeurs de philosophie ont continué à préparer leurs élèves au rattrapage en menant avec eux la lecture suivie d’une œuvre. C’est seulement début juin qu’ils ont découvert que ce travail effectué pendant le confinement, aussi intéressant et formateur fût-il, ne serait d’aucun usage pour l’examen. Ils ont alors eu le sentiment d’avoir été conduits, à leur insu, à tromper leurs élèves, dont ils ont injustement encouru les reproches.
Pourquoi une telle importance donnée à l’étude suivie de l’œuvre ? Trois notes publiées sur Eduscol apportent un élément de réponse.

Vers un enseignement d’histoire de la philosophie ?

Intitulées «Recommandations concernant le travail dans les classes de philosophie», «La construction des cours : notions, auteurs, repères» et «L’étude des textes et des œuvres en classe de philosophie», ces notes prolixes, publiées sans concertation dans le contexte troublé de la crise sanitaire, seront complétées par une quatrième qui portera sur «L’évaluation des travaux en classe de philosophie». L’APPEP en publiera bientôt une analyse précise. Remarquons d’ores et déjà que cette avalanche de textes accompagnant le programme est inédite, et que la philosophie est la seule discipline à subir un si grand nombre de documents prescriptifs pour encadrer son enseignement. C’est une nouveauté inquiétante.
Alors que les services des professeurs de philosophie seront alourdis par la réforme, ces notes durcissent encore leurs conditions de travail, «recommandant» par exemple huit «devoirs complets» par an dans les classes de la voie générale, dont trois en temps limité, et six dans la voie technologique, dont deux en temps limité. Et, au lieu d’offrir un point d’appui aux professeurs pour obtenir de leur chef d’établissement «l’enseignement commun» de philosophie pour les élèves qu’ils ont en HLP, elles entérinent la possibilité que ces cours soient assurés par deux professeurs, et alourdissent leur travail en ajoutant une tâche de concertation entre professeurs de philosophie. Mais il y a plus grave encore. En opposition à la lettre et à l’esprit des nouveaux programmes de philosophie, et dans la méconnaissance de la réalité du lycée, ces notes accordent une importance disproportionnée à l’étude des œuvres et des textes, au point que leur horizon semble être un enseignement d’histoire de la philosophie. Elles paraissent ainsi procéder d’une confusion entre un enseignement scolaire et un enseignement universitaire de la philosophie.

2020-2021

Pour combler les lacunes résultant du confinement, l’APPEP demande avec insistance le dédoublement systématique d’au moins une heure hebdomadaire des classes de la voie technologique, et la possibilité de travailler avec des groupes à effectif réduit dans la voie générale. Elle demande conjointement un allègement des programmes de philosophie et d’HLP, d’autant que la prochaine année scolaire sera placée sous la menace d’un nouveau confinement local ou national. Afin de faciliter le travail de tous, elle considère que l’épreuve de «Grand oral» doit être reportée à la session 2022, et que les épreuves de spécialité doivent avoir lieu début juin, dans la continuité de l’épreuve de philosophie. C’est le minimum que le ministère puisse faire pour garantir un travail aussi serein et efficace que possible dans le contexte actuel.

Cette crise de confiance généralisée rend incompréhensible la confirmation de Jean-Michel Blanquer à la tête du ministère de l’Éducation nationale. Il serait temps que l’administration du ministère tienne enfin compte de l’avis et de l’expérience de ceux qui travaillent en première ligne.

Après une année difficile, qui a affecté beaucoup d’entre nous ou de nos proches, je souhaite à tous les adhérents de l’APPEP de trouver cet été un loisir reconstituant. Ils pourront l’année prochaine compter sur le travail vigilant du Bureau de leur association.

Nicolas Franck
Président de l’APPEP
7 juillet 2020