Le besoin d’une approche philosophique de l’EMC
Un projet utile.
L’APPEP a toujours considéré qu’un enseignement moral et civique était nécessaire à l’École de la République. Ses multiples contributions et le colloque organisé sur le sujet en novembre 2013 en témoignent. Les récents attentats meurtriers confirment cruellement la nécessité de cet enseignement.
C’est donc avec beaucoup d’intérêt qu’elle a pris connaissance du projet d’Enseignement moral et civique présenté par le Conseil supérieur des programmes en décembre dernier. Elle se reconnaît dans les objectifs de ce programme : « contribuer à former l’esprit critique des élèves » et « réfléchir aux rapports qui existent entre la morale, le droit, la loi, les habitudes sociales ».
Le besoin d’un enseignement réfléchi et critique.
Parce qu’on ne peut se contenter de discours incantatoires et moralisateurs sur le vivre ensemble, l’EMC ne devra pas ressembler à une nouvelle religiosité civile. Les élèves ont besoin de voir plus clair dans les multiples informations qu’ils reçoivent, de savoir examiner les problèmes auxquels ils sont confrontés. Ils ont besoin d’un recul critique, d’une élucidation conceptuelle et d’une compréhension réfléchie des principes ; cela seul permet de désarmer les querelles stériles et les enfermements identitaires.
Le travail habituel des professeurs de philosophie consiste précisément, avec rigueur, patience et sérénité, à exercer les élèves à poser clairement les problèmes relatifs à la religion, au droit, à la morale, à la politique, à la technique, au vivant, à la culture, qui sont les notions des programmes de philosophie des classes terminales. Le projet d’éclairer la laïcité comme un principe politique et une conquête historique, mais aussi comme l’exercice vivant d’une pensée raisonnée et comme le fondement d’une société de liberté, est directement appelé par l’apprentissage élémentaire de la philosophie.
Même des notions du programme de philosophie apparemment éloignées de l’enseignement moral et civique comme celles de langage et de vérité rejoignent les préoccupations de cet enseignement : leur approche philosophique permet de distinguer un principe moral ou politique d’une opinion, une croyance d’un énoncé scientifique.
Ainsi, le programme d’EMC s’inscrit en contrepoint du programme de philosophie. Il peut même être envisagé comme une application du cours de philosophie, offrant ainsi la possibilité d’exercices renouvelés. L’EMC et l’enseignement de la philosophie se renforcent mutuellement en vue de former les élèves à la discussion critique respectueuse des personnes.
En attribuant cet enseignement aux professeurs de philosophie dans les classes terminales, on sera assuré qu’il ne sera pas utilisé pour « boucler le programme ». Aucun des thèmes de l’enseignement moral et civique ne détourne en effet les professeurs de philosophie de l’étude des notions au programme des classes terminales.
C’est pourquoi l’APPEP demande que la responsabilité de l’enseignement moral et civique en classes terminales soit confiée aux professeurs de philosophie.
Des propositions d’amélioration.
Dans cette perspective, l’APPEP a fait des propositions sur la progressivité et le contenu de cet enseignement.
Sur la progressivité du programme : il est important d’étudier dès la seconde les questions relatives au numérique. Les élèves ont, le plus tôt possible, besoin d’avoir un rapport critique avec les réseaux qu’ils fréquentent assidûment.
Sur le contenu : l’APPEP a fait plusieurs propositions visant à améliorer et à préciser l’EMC en se fondant sur le besoin des élèves.
Sur le thème « les enjeux moraux et civiques de la société de l’information », l’APPEP considère qu’on ne peut se contenter du point de vue de l’utilisateur des outils numériques. Il convient de s’élever à une connaissance des enjeux de pouvoirs économique et politique qui se jouent à travers l’Internet et ses structures.
Sur le thème « Égalité et discrimination » : les propositions de l’APPEP visent à permettre aux élèves de mieux définir la notion de discrimination, afin qu’ils apprécient lucidement les moyens que le droit offre pour lutter contre les discriminations.
Sur le thème « Pluralisme des croyances et laïcité », l’APPEP souhaite rappeler que la laïcité n’est pas une notion parmi d’autres, mais le principe constitutionnel de la Cinquième République (article premier de la Constitution du 4 octobre 1958). Elle ne fonde pas seulement le pluralisme des croyances religieuses, mais rend possible la pluralité des opinions, des convictions et des croyances, et garantit la liberté de conscience.
Des motifs d’inquiétude
L’APPEP s’inquiète cependant d’apprendre que le CSP est chargé d’une réécriture des programmes sous le coup d’une émotion, certes légitime, mais dont il n’est pas certain qu’elle tienne compte de la consultation organisée.
Elle attend du ministère des précisions sur l’horaire dévolu à cet enseignement et sur le mode d’évaluation qui ne saurait tenir une place inappropriée ou excessive.
En tout état de cause, elle considère que l’année scolaire 2015-2016 sera une année d’observation. L’EMC mérite mieux qu’une mise en place précipitée sans que les conditions sereines de sa réussite soient réunies.