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« Devenir professeur »: en marche vers la caporalisation de l’entrée dans le métier

Publié le

L’Enseignement philosophique, Janvier 2020, Éditorial.

 

Le ministère a présenté le 20 novembre dernier un projet de réforme du CAPES censé accroître l’attractivité du métier d’enseignant1 en renforçant sa « professionnalisation ». Le projet révèle un contresens total sur la nature même du métier de professeur. La conception de l’écrit comme de l’oral du CAPES en témoigne de manière effarante.

Une épreuve écrite inadéquate

D’après ce qu’on sait du projet de réforme du CAPES, seule la première épreuve écrite conservera un caractère disciplinaire. La seconde placera le candidat « en situation d’élaborer une séquence pédagogique à partir d’un sujet donné par le jury, afin d’évaluer sa capacité à exercer, dans une perspective pédagogique, une approche critique sur les sources disponibles ». Quelles sont ces « ressources documentaires » ? Toutes celles que le candidat trouvera sur la Toile, car il « dispose[ra] d’une tablette ou d’un ordinateur afin d’accéder à Internet pour utiliser toute ressource qu’il juge pertinente ».

Une telle épreuve repose sans doute sur la prise en compte d’une réalité : les ressources en ligne abondent. Des séquences de cours partielles ou complètes sont ainsi proposées sous la forme de vidéos, de diaporamas ou de capsules. Dans de très nombreuses matières, et même en philosophie, beaucoup de professeurs les utilisent comme base ou éléments de leurs cours. Dans ce contexte, les concepteurs du projet de réforme du CAPES ont sans doute cru judicieux d’évaluer « la capacité [des candidats] à exercer, dans une perspective pédagogique, une approche critique sur les sources disponibles ».

Mais c’était ignorer que les professeurs ne sont pas des compilateurs de données. Ils sont les auteursde leurs cours, qu’ils adressent à leurs élèves, dans un dialogue singulier qui ne laisse aucune trace sur la Toile. Ils ont pour source principale les œuvres des philosophes et le lien direct qu’ils entretiennent avec elles.

À quoi rime l’épreuve « Google search » (pour la résumer ainsi) du futur CAPES ? À s’assurer de la docilité intellectuelle du futur professeur ? Dans le temps limité de l’épreuve d’un concours, il est en effet impossible d’élaborer une « séquence pédagogique » en prenant sérieusement en compte toutes les ressources disponibles sur Internet. Les candidats se dirigeront donc vers les sites qu’ils supposeront bien vus du jury. Ils y seront d’autant plus enclins que les jurys disposeront très vraisemblablement de leur historique de navigation. C’est en effet le seul moyen de prévenir les manipulations et les fraudes – par exemple la consultation de « séquences de cours » prêtes à l’emploi sur les sujets susceptibles d’être proposés. Il sera dès lors inévitable qu’apparaissent des sites para, pseudo ou quasi-officiels, voués à promouvoir les « bonnes pratiques » et à encourager des pensées orthodoxes, auxquels les candidats prudents se référeront exclusivement. Au lieu de favoriser la réflexion, cette épreuve incitera donc au conformisme, et même à l’allégeance aux attentes ministérielles du moment.

Une épreuve orale hors de propos

L’une des deux épreuves orales consistera en un « entretien sur la motivation du candidat et sa connaissance de l’environnement et des enjeux du service public de l’éducation, sa capacité à incarner et verbaliser les valeurs de la République et à se positionner en fonctionnaire ». Ce sabir entend signifier que le CAPES comprendra, à l’image des « entretiens de personnalité » qui conditionnent l’accès aux écoles de commerce, une sorte d’entretien de motivation.

Cette évaluation, abstraitement détachée de tout rapport à la discipline du concours de recrutement, portera également sur des « valeurs de la République » réduites à un dogme, que le candidat devra « incarner et verbaliser ». Faut-il comprendre « mimer et réciter ? » Qui veut-on recruter, exactement ? Des singes et des perroquets, ou des professeurs, attachés à la transmission de savoirs disciplinaires émancipateurs, et convaincus que les valeurs de la République font l’objet d’une connaissance critique et réfléchie ?

Le nouveau master MEEF, « voie d’excellence pour devenir professeur »

L’école de conformisme que deviendrait le CAPES rénové sera préparé par la réforme du master MEEF. Officiellement, deux voies seront toujours possibles pour préparer le concours : un master recherche et un master MEEF. Mais l’affaiblissement sans précédent de la part disciplinaire du concours, et son déplacement à la fin du M2 rendront de plus en plus difficile de préparer le CAPES en suivant un master recherche. Au demeurant, le master MEEF est officiellement présenté comme la « voie d’excellence pour devenir professeur ». Les départements de philosophie seront particulièrement fragilisés. Les étudiants, soumis demain plus encore qu’aujourd’hui à l’autoritarisme à l’œuvre dans de nombreux INSPÉ, feront ainsi l’apprentissage du conformisme que le concours évaluera.

En alignant les épreuves du concours sur les masters MEEF, ce projet privilégie une prétendue professionnalisation au détriment de la maîtrise des savoirs disciplinaires. La légitimité des masters MEEF ne tardera pas à apparaître plus grande que celle des concours. C’est donc l’existence même des concours qui est, de fait, fragilisée.

Se mobiliser

Jusqu’ici, les jurys du CAPES de philosophie ont toujours considéré que sont « effectivement et authentiquement professionnelles » des épreuves qui permettent d’apprécier la connaissance précise, par le candidat, des œuvres par lesquelles la philosophie s’est constituée, son aptitude à questionner des textes, ou encore son goût pour la réflexion et la transmission des connaissances 2.

Si le projet de réforme du CAPES était adopté, il sera demain impossible aux jurys de défendre la nature intellectuelle du métier de professeur.

Conduite autoritairement en même temps qu’une redéfinition du métier, cette réforme serait ruineuse pour l’école de demain.

L’APPEP appelle la profession à se mobiliser largement pour empêcher cet avilissement, et cette caporalisation, de notre métier.

 

Nicolas FRANCK,  Président de l’APPEP, 27 décembre 2019.

 

Téléchargement des fichiers liés

  1. On a observé, cette année encore, une baisse du nombre total d’inscrits aux CAPES et à l’agrégation. En philosophie en revanche, le nombre de candidats est en hausse, si bien que les concours, qui sont dans notre discipline déjà les plus sélectifs, vont l’être davantage encore malgré la confirmation de la hausse du nombre de postes constatée l’année dernière.
  2. Rapport du jury du CAPES externe 2019, p. 5.