« PROJET D’ÉVALUATION », PROJET DE DÉVALUATION
24 septembre 2025
Dans sa note de service du 25 août 2025[1], la Direction générale de l’enseignement scolaire enjoint aux équipes disciplinaires, dans chaque établissement, d’élaborer un « projet d’évaluation » dont l’objectif est ainsi formulé : « conférer une valeur certificative aux moyennes annuelles de tous les enseignements suivis en cycle terminal et ainsi renforcer l’égalité de traitement entre les élèves ».
D’une immense lourdeur, extrêmement contraignant, ce dispositif impose à chaque équipe disciplinaire :
- de préciser « les modalités de prise en compte de ces différentes évaluations, leurs critères, les compétences en jeu » ;
- de distinguer :
- « les temps d’évaluation diagnostique mis en place en début de processus » ;
- « les principes qui prévalent à l’évaluation formative, laquelle permet à l’élève de voir où se situent ses acquis par rapport aux exigences et attendus des programmes, de progresser grâce à des retours fréquents, explicites et constructifs » ;
- « le cadre de l’évaluation sommative, notamment celui des évaluations périodiques (évaluations de fin de trimestre ou de fin de semestre, par exemple) qui scandent la scolarité » ;
- d’« [indiquer] fréquence et le calendrier de ces évaluations»
- de déterminer à l’avance « la pondération des différents types d’évaluations constituant la moyenne périodique», en distinguant :
- « les évaluations à coefficient zéro qui ne sont pas comptabilisées dans la moyenne périodique telles que les évaluations diagnostiques ou certaines évaluations formatives » ;
- « les évaluations à coefficient intermédiaire formatives ou sommatives qui concernent des paliers d’acquisition des apprentissages » ;
- « les évaluations à fort coefficient que sont les évaluations sommatives périodiques » ;
- de « [mentionner] […] les adaptations et aménagements pour les élèves bénéficiant de plans d’accompagnement personnalisés (PAP), de projets d’accueil individualisé (PAI) ou de projets personnalisés de scolarisation (PPS) ».
L’Appep juge inacceptable ce dispositif qui renforce et étend le principe du « projet local d’évaluation » institué en 2021 dans le sillage de l’introduction du contrôle continu dans l’examen du baccalauréat, aux dépens de la liberté pédagogique.
En imposant des règles locales d’évaluation qui devront être validées en conseil pédagogique et en conseil d’administration, cette note de service encourage la contractualisation de l’évaluation et renforce la tendance à la négociation permanente, au détriment des progrès et de la réussite des élèves.
Soumettant le travail pédagogique d’évaluation des professeurs à des normes bureaucratiques confinant à l’absurde tout en l’alourdissant considérablement (doubles bulletins), cette note de service manifeste la défiance de l’institution à l’égard de ses propres experts et constitue un coin de plus dans le principe de la liberté pédagogique, pierre angulaire du service public d’éducation.
Ce dispositif pousse en outre à un localisme de la notation et donc à l’accentuation de la délétère concurrence entre les établissements.
L’introduction du contrôle continu dans l’examen, multiplie les contestations, favorise l’inflation des notes et l’évitement des devoirs par des élèves mis en permanence sous pression, en examen continu dès la classe de Première.
Le « projet d’évaluation » prétend corriger ces effets qui étaient parfaitement prévisibles. Compliquer encore la réforme Blanquer pour remédier à ses défauts constitutifs ne saurait être la bonne voie.
L’intérêt même du contrôle continu, qui devrait permettre aux élèves de mesurer leurs acquis et leurs progrès, est perdu de vue. La distinction entre types de coefficients, telle qu’elle est prévue par la note de service, vise à réintroduire une distinction entre évaluation formative et certificative (d’examen). Elle est une tentative cruellement ironique pour pallier les difficultés que la réforme Blanquer devait inéluctablement entraîner. Avec son localisme, ce « projet d’évaluation » est enfin une manière de détruire un peu plus le principe de l’examen à valeur nationale.
La philosophie, discipline qui n’entre pourtant pas dans le cadre du contrôle continu, est désormais soumise à l’obligation de ce projet d’évaluation. Mais les dispositions que celui-ci prévoit mettront les professeurs de philosophie dans une situation intenable. Ils ne peuvent, en effet, évaluer leurs élèves « formativement » ou « sommativement » qu’en les entraînant aux exercices proposés au baccalauréat, soit la dissertation et l’explication de texte. Cet entraînement suppose l’organisation régulière de devoirs surveillés en quatre heures. Or, du fait de la complexité des emplois du temps, du manque de surveillants et de l’organisation des transports scolaires, une telle organisation est devenue presque impossible. Cyniquement, le ministère exige donc des professeurs de philosophie qu’ils se soumettent à des dispositions inapplicables.
L’Appep réaffirme les positions suivantes :
- La valeur du baccalauréat repose sur son caractère national et sur l’existence d’épreuves terminales garantissant l’égalité entre tous les candidats. Le caractère réellement final des épreuves d’examen est la condition d’apprentissages effectifs et sereins.
- L’organisation de devoirs sur table réguliers, de bacs blancs ou de semaines de devoirs communs au sein des établissements reste une nécessité face aux difficultés créées par l’émiettement des emplois du temps et par le recours aux IA, qui empêche d’évaluer le caractère personnel du travail des élèves lorsqu’il n’est pas effectué en classe. Mais elle doit avoir lieu dans le strict respect de la liberté pédagogique des professeurs, condition essentielle des progrès et de la réussite des élèves.
- Parcoursup doit être réformé afin de cesser de commander l’organisation de l’année de Terminale. La réussite au baccalauréat doit rester la condition principale d’accès aux études supérieures.
L’Appep s’oppose vigoureusement au dispositif prévu par la note de service du 25 août 2025, et demande son abandon pur et simple.
[1] https://www.education.gouv.fr/bo/2025/Hebdo32/MENE2523744N