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Audience auprès du cabinet d’Élisabeth Borne

Publié le

Mardi 29 avril 2025 – 14h45-15h55

 

Présents :

Pour le cabinet de la ministre : Brigitte Lacoste, conseillère en orientation, politiques pédagogiques et éducatives.

Pour l’association : Blaise Bachofen, vice-président de l’Appep ; Vincent Renault, président de l’Appep.

 

 

Notre objectif est d’exposer, à propos de sujets d’inquiétude très partagés parmi les professeurs de philosophie, les demandes et propositions précises de l’association. Elles trouvent notamment un appui dans les résultats de l’enquête sur l’année scolaire 2023-2024 en philosophie et sur la session 2024 du baccalauréat, dont nous remettons le rapport[1].

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Nous commençons par les conséquences de la banalisation de l’usage des applications d’intelligence artificielle générative. Elles ont suscité notre texte « Prompter n’est pas penser »[2] et constituent la raison immédiate de l’audience.

Il est souvent très difficile de préparer comme il se doit les élèves à l’épreuve de philosophie. Il s’agit d’un exercice indivisible qui demande 4 heures. Or, du fait de l’IA, on ne peut plus compter sur l’évaluation de devoirs faits en dehors du temps scolaire, alors même les emplois du temps issus de la réforme Blanquer tendent à priver les professeurs de la latitude qu’il leur faut pour organiser des devoirs en temps limité. L’association demande que le ministère institue l’obligation, pour les établissements, d’organiser des devoirs en temps limité et alloue des moyens à leur surveillance.

Nos protestations à l’endroit de la ministre et de sa manière d’aborder la question de l’IA dans le cadre de l’enseignement scolaire ne reposent pas sur une hostilité de principe à l’IA, mais sur la considération d’élèves qui en sont encore à des apprentissages au regard desquels l’appel à l’IA, utile pour des esprits déjà formés à de telles opérations, est plutôt une gêne : apprendre à formuler une idée à travers des exemples, à décomposer un problème en ses éléments, à produire des chaînes de raisons, à opérer des rassemblements synthétiques. Face à la fraude massive, nous préconisons des mesures mieux ajustées à la situation concrète.

Brigitte Lacoste nous demande si nous avons sollicité l’Inspection générale sur ce problème. Nous lui répondons que nous en avons parlé récemment à Jean-François Balaudé, mais que celui-ci nous a renvoyé vers le ministère.

Notre interlocutrice met en avant un souhait de la ministre : ralentir le rythme effréné des évaluations et favoriser les « rendez-vous de type bac blanc ». Quant à notre demande, elle en pointe le coût et note et qu’il est d’autant plus difficile de la satisfaire que toutes les disciplines en font de semblables. Elle insiste aussi sur l’importance que la ministre accorde à l’autonomie des chefs d’établissements.

Nous soulignons l’importance de l’enjeu : il en va de la crédibilité de la préparation des élèves aux examens et de la formation qu’ils reçoivent. Nous évoquons la concurrence faite par les établissements privés aux établissements publics. Les premiers n’organisent-ils pas communément de tels devoirs réguliers ? Brigitte Lacoste invoque son expérience de DASEN dans l’Ouest. Elle invite à déconstruire les « mythes » sur les moyens supplémentaires dont disposerait le privé qui, assure-t-elle, utilise seulement ses moyens différemment et où, par ailleurs, les professeurs seraient disponibles pour assurer bénévolement les surveillances.

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Nous jugeons étonnant et anormal que la note de service sur l’organisation du baccalauréat 2025[3] n’ait pas reconduit la dispense de surveillance pour les professeurs de philosophie. On tient moins que jamais compte de la charge de travail qui leur incombe en cette période[4]. La conseillère s’interroge sur ce qui a pu conduire la direction générale de l’enseignement scolaire à cette décision. Il nous revient de rappeler les réponses qui nous ont été faites lors de notre audience du 29 octobre 2024[5].

Nous rappelons et argumentons la proposition de l’Appep : que l’épreuve de philosophie précède de dix jours les épreuves de spécialité. C’est indispensable à une correction sereine et solide. Le vivier des correcteurs de philosophie est structurellement étroit. Chaque année, faire que toutes les copies soient distribuées est un défi pour les corps d’inspection. Le doyen du groupe philosophie de l’IGÉSR ne nous a-t-il pas dit sa crainte de voir se multiplier les indisponibilités ?[6] Si l’on suivait notre proposition, les élèves prendraient plus au sérieux la préparation de la philosophie et peaufineraient ensuite leur préparation des épreuves de spécialité.

Ces arguments sont écartés au nom de la reconquête du mois de juin. La difficulté n’est pas organisationnelle. Elle est que les élèves ne reprendraient pas les cours. Une telle coupure est rarement suivie d’une reprise, estime la conseillère.

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Concernant la philosophie en terminale technologique, l’association demande une circulaire instituant le dédoublement systématique de la deuxième heure. Nous rappelons que la voie technologique concerne plus de 60 % des enseignants. L’enjeu démocratique de l’accès du plus grand nombre à la philosophie y pèse le plus lourdement. D’après l’enquête les appréhensions relatives à l’enseignement de la philosophie au lycée professionnel tiennent largement à l’expérience amère de la voie technologique. Le dédoublement ne peut dépendre de l’arbitrage local. Les professeurs de philosophie sont toujours en situation de faiblesse.

Brigitte Lacoste mentionne à nouveau l’importance que la ministre accorde à l’autonomie des chefs d’établissements et nous renvoie à la mission récemment donnée par la ministre à l’IGÉSR et à la Dgesco de repenser les programmes, la pédagogie et les examens pour une voie technologique délaissée par les réformes précédentes et qui ne trouve pas son public. Le groupe de travail est constitué. Nous sommes invités à nous rapprocher du groupe philosophie.

En ce qui concerne le dédoublement, l’injonction irait plutôt à l’encontre de la politique que la ministre souhaite adopter à l’égard des établissements. En réponse à ce refus de formuler une injonction, nous évoquons la décision prise par la ministre à propos de l’usage des téléphones dans les collèges. Notre interlocutrice signale à ce sujet une obligation légale.

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Réévaluer les coefficients de la philosophie serait, d’après l’enquête, la principale manière de rendre de la place à la philosophie dans le système scolaire, chose si indispensable en ces temps troublés qui demandent un surcroît d’exercice de l’intelligence. Ces coefficients sont vécus comme humiliants. Ils signalent la philosophie comme discipline négligeable, en particulier face au grand oral. L’écart est caricatural en terminale technologique. L’épreuve de philosophie est l’épreuve de la maturité intellectuelle par excellence. Elle mérite à ce titre de constituer un véritable pilier du baccalauréat qui a précisément cette signification de constituer un bilan des apprentissages et des capacités d’aborder les études supérieures qui vont préciser le cadre futur d’activité. Il faut une incitation au travail de réflexion patiente, étapes par étapes, que la philosophie demande aux élèves. La proposition de l’Appep est un coefficient de 10 (autrement dit de 10 %) dans les deux voies. Prise sur le grand oral, la pondération ajoutée ne coûterait à aucune autre matière.

Brigitte Lacoste annonce la décision bientôt officielle d’allouer 2 points de coefficient, en voie générale, à l’épreuve anticipée de mathématiques et de les prélever sur le grand oral. Elle partage nos convictions sur l’importance de la philosophie dans l’enseignement scolaire, mais écarte une demande qui est formulée par bien des disciplines.

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Nous disons les raisons de notre rejet de la réforme du recrutement des certifiés, désormais en cours de troisième année de licence : cécité à la cause salariale de la désaffection du métier ; baisse dramatique du niveau des candidats et affaiblissement subséquent de l’image du métier ; insuffisance de la compensation, prévue pour les années ultérieures au concours, du déficit de connaissances[7]. La conseillère ayant évoqué une baisse des compétences des enseignants – beaucoup ne maîtriseraient plus le français –, nous lui demandons si ce jugement repose sur des enquêtes. Il s’avère qu’il s’agit de son expérience personnelle. Nous pointons la contradiction entre ce constat (ou cette supposition) et une réforme recrutant à un niveau encore plus bas. Nous évoquons également la difficulté de préparer sérieusement un concours tout en préparant et en passant des examens universitaires. À notre surprise, la conseillère répond à ce propos que la concomitance entre un examen et un concours pose en effet des problèmes d’organisation, aussi bien pour les candidats que pour les établissements et les correcteurs, mais que le ministère n’y a pas encore réfléchi.

La conseillère de la ministre nous rappelle que de toute façon la réforme a été adoptée par décret et insiste sur la victoire qu’a constituée l’arbitrage budgétaire permettant une rémunération des lauréats du concours. À ce propos, elle nous assure qu’il a été récemment décidé que les bénéficiaires des financements alloués en M1 et M2 ne devront pas rembourser les sommes perçues s’ils échouent au terme du M2 et ne valident pas leur concours.

Elle justifie la réforme en exposant longuement la nécessité d’élever le niveau des professeurs des écoles. Nous pointons avec la plus grande facilité l’incohérence d’avoir voulu aligner une réforme du CAPES sur cette nécessaire réforme du CRPE. En effet, le résultat prévisible pour le secondaire est contraire : recruter à plus bas niveau. La conseillère invoque les 60 % de la part du « disciplinaire » dans la formation en master, après le concours. Nous ne pouvons que redire que c’est dramatiquement bas. À notre étonnement de voir maintenue l’épreuve d’entretien avec le jury à l’oral du CAPES, épreuve plus que jamais hors de propos, la conseillère ne peut répondre qu’en invoquant le poids symbolique de cette épreuve sur les « valeurs de la République ».

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Nous annonçons la réflexion que l’Appep organise sur la spécialité « humanités, littérature et philosophie » dans le cadre d’un colloque prévu le 15 novembre 2025 à l’École normale supérieure. Nous nous en tenons sur ce thème aux deux points qui concernent particulièrement le ministère.

En premier lieu, l’Appep demande une heure de concertation entre professeurs de philosophie et de lettres, comptée dans les services. En réponse au contre-argument du coût, nous rappelons qu’HLP est la seule spécialité bi-disciplinaire.

En second lieu, nous appelons le ministère à relayer auprès des rectorats et des établissements l’obligation légale d’attribuer à parts égales l’enseignement de la spécialité à un professeur de lettres et à un professeur de philosophie. Nous signalons les fréquents contournements de la règle[8]. La conseillère prend note de la nécessité de faire respecter cette règle.

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Bien que nos demandes n’aient globalement pas reçu de réponses favorables, nous remercions la conseillère de la ministre pour son écoute particulièrement attentionnée et pour la grosse heure qu’elle a accordé à cet entretien.

 

 

[1] https://www.appep.net/enquete-2024-sur-lenseignement-et-les-epreuves-de-philosophie/

[2] https://www.appep.net/prompter-nest-pas-penser/

[3] https://www.education.gouv.fr/bo/2024/Hebdo27/MENE2403660N

[4] Le détail des arguments de l’Appep peut être retrouvé dans le communiqué publié à ce propos le 10 septembre 2024 : https://www.appep.net/calendrier-du-baccalaureat-2025-deja-fortement-eprouves-les-professeurs-de-philosophie-sont-ils-punis/

[5] https://www.appep.net/audience-du-29-octobre-2024-aupres-du-cabinet-danne-genetet/

[6] https://www.appep.net/compte-rendu-de-laudience-aupres-du-doyen-du-groupe-philosophie-de-ligesr-le-mercredi-5-mars-2025/

[7] Le détail des positions de l’Appep sur cette réforme peut être retrouvé dans les textes suivants : https://www.appep.net/expedition-des-affaires-courantes-a-marche-forcee/, https://www.appep.net/recrutement-des-professeurs-certifies-non-a-la-degradation-du-metier/, https://www.appep.net/chambre-sourde-au-ministere/, https://www.appep.net/contre-la-sape-de-lenseignement-scolaire-par-un-recrutement-au-rabais/

[8] Sur cette question, voir notre communiqué du 29 octobre 2024 : https://www.appep.net/soutenir-les-professeurs-de-philosophie-depossedes-de-lenseignement-de-la-specialite/