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Appel à contributions : Jaurès philosophe

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L’enseignement philosophique, revue à comité de lecture publiée trimestriellement sous la responsabilité de l’Appep (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public), lance un appel à contributions sur Jaurès philosophe[1].

Jean Jaurès compte aujourd’hui parmi le petit nombre de personnages historiques dont tous les bords politiques français, ou presque, revendiquent l’héritage. Pourtant, alors même que l’image du politique pensant en profondeur son action joue un rôle déterminant dans l’aura de Jaurès, sa pensée reste peu explorée ; et c’est sans doute cette connaissance fragmentaire de sa pensée qui explique les revendications abusives. Il y a, bien sûr, les ambiguïtés de Jaurès relativement à la question religieuse[2], qu’on pourra explorer avec profit. Une certaine modalité de l’attachement à la terre, en outre, est indéniable chez lui et mérite d’être interrogée[3]. Mais c’est généralement faute de connaître les raisons de son action politique qu’on en vient à faire de ce républicain internationaliste, défenseur de la nécessité historique de l’école laïque, le représentant d’un bon sens antirévolutionnaire et traditionnaliste, sous prétexte de distances avec le marxisme.

On voit quel premier champ s’offre à l’étude : celui des assises intellectuelles et philosophiques de l’action de Jaurès. Quels enseignements tirer de sa pensée de la laïcité et, de manière connexe, de l’éducation, de la citoyenneté, de la foi religieuse, de l’histoire de la culture ? On pourra également s’interroger, notamment à partir de L’armée nouvelle, sur ce qu’il écrit de l’usage de la force, de la guerre et de la paix, de la nation, de l’État, de la classe, de l’humanité. On croisera bien sûr la question du socialisme de Jaurès, de son rapport à Marx et aux autres figures de l’internationalisme ouvrier, et donc aussi la question des fondements anthropologiques du socialisme défendu par un penseur qui, bien qu’il prît le contrepied de l’idéalisme de Jules Lachelier et plus tard de certaines positions de son camarade Bergson, n’a jamais renié le spiritualisme philosophique[4].

Même si son élection à la Chambre des députés en 1885 le fait dévier de sa trajectoire d’universitaire auteur d’une thèse d’État, La réalité du monde sensible, il est donc impossible de réduire le Jaurès philosophe au Jaurès d’avant l’entrée en politique. Que reste-t-il de la métaphysique de Jaurès ? Selon André Robinet, qui voyait en lui un précurseur « venu trop tôt » de la phénoménologie, « en 1950, sa métaphysique eût fait fureur […] qui établit un relais entre Maine de Biran et Merleau-Ponty »[5]. L’appréciation est datée, mais elle suggère de revisiter une ontologie originale qu’il serait intéressant de situer dans le paysage des questionnements d’alors, partagé par exemple avec Bergson ou avec le James des Essais d’empirisme radical.

Le travail du Jaurès enseignant peut également être étudié à partir de son célèbre « cours d’Albi » (1882-1883), qui peut éventuellement être mis en parallèle avec celui de Bergson au Lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand dans les mêmes années[6]. Ce sont d’éminents exemples de la pratique de l’enseignement philosophique, alors que la métaphysique restait reine, avant la réforme de 1902[7].

Les réflexions sur l’usage de travaux de Jaurès en cours de philosophie, en spécialité « humanités, littérature et philosophie » ou en EMC, sont bienvenues. Jaurès ne figure pas au nombre des auteurs cités par les textes officiels. Cette absence est discutable.

Les consignes éditoriales pour la présentation des articles peuvent être consultées ici. Les contributions, d’une longueur maximale de 30 000 signes, espaces et notes comprises, devront être adressées au secrétariat de la revue (revue@appep.net) au plus tard le 15 mai 2026

[1] Les œuvres complètes de Jaurès ont été publiées entre 2000 et 2023 en 17 volumes chez Fayard par la Société des études jaurésiennes, sous la direction de Madeleine Réberioux (jusqu’en 2005) et de Gilles Candar. On peut en retrouver la liste sur le site de l’éditeur : https://www.fayard.fr/auteur/jean-jaures/. On pourra également se reporter aux trois volumes des Œuvres philosophiques publiées par Jòrdi Blanc : Cours de philosophie, Valence d’Albigeois, Vent Terral, 2005 ; De la réalité du monde sensible, Vent Terral, 2009 ; Écrits et discours théologico-politiques, Vent Terral, 2014.

[2] La question a notamment été travaillée par Vincent Peillon dans Jean Jaurès et la religion du socialisme, Paris, Grasset, 2000.

[3] « L’univers est socialiste à sa manière », écrit Jaurès dans « Au clair de lune », article publié dans La Dépêche le 15 octobre 1890 (voir Écrits théologico-politiques, op. cit., p. 31).

[4] Pour d’utiles repères, voir Guillaume Lurson, « Le tournant idéaliste du spiritualisme », L’enseignement philosophique, 71-3, février-avril 2021, p. 35-47.

[5] André Robinet, Jaurès et l’unité de l’être, Paris, Seghers, 1964, p. 9-10.

[6] Henri Bergson Cours de philosophie de 1886-1887 au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand : morale, métaphysique, histoire de la philosophie, édité par Sylvain Matton et présenté par Alain Panero, Paris, Société d’étude de l’histoire de l’alchimie et Milan, Archè, 2010.

[7] Voir B. Poucet, Enseigner la philosophie, Histoire d’une discipline scolaire, 1860-1960, Paris, CNRS éd., 2001. Sur la réforme  de 1902, ses effets sur le cours de philosophie et les appréciations de l’évolution par les professeurs d’alors, on consultera avec intérêt André Binet, « Une enquête sur l’évolution de l’enseignement philosophique » dans L’année psychologique, 1907, 14, p. 152-231 (sur Persée : https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1907_num_14_1_3741), ainsi que la séance de la Société française de philosophie qui lui a été consacrée en novembre 1907, en présence de Bergson (sur le site de la SFP : https://s3.archive-host.com/membres/up/784571560/GrandesConfEnseignement/Ens03-Binet-1907.pdf).