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Enseigner la philosophie malgré HLP

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Un enseignement structurellement confus

Les professeurs de philosophie connaîtront à la rentrée 2019 une situation inédite : ils seront amenés à enseigner la philosophie sur la base d’un programme dont ses auteurs s’accordent à dire qu’il n’est pas philosophique. La spécialité « Humanités, littérature et philosophie » (HLP) impose en effet des « entrées » dont « aucune […] n’est spécifiquement « littéraire » ou « philosophique » », permettant seulement une « approche croisée » par les professeurs de lettres et de philosophie (Préambule du programme). Le caractère disciplinaire de l’enseignement proposé aux élèves sera donc déterminé par la discipline d’enseignement du professeur et non par le programme lui-même, au point que le programme d’HLP, sans être spécifiquement historique, pourrait aussi bien donner lieu à un enseignement d’histoire si l’on décidait d’en charger les professeurs d’histoire. C’est donc en dépit du programme que les professeurs de philosophie devront enseigner HLP.

Deux acquis et une contradiction

Aussi dégradée soit-elle, cette situation aurait pu être pire encore. Initialement, le ministère refusait tout cadrage national et égalitaire de l’horaire et refusait que l’épreuve du baccalauréat distingue une partie littéraire et une partie philosophique. Des proviseurs se préparaient déjà à user de l’horaire de la spécialité HLP comme « variable d’ajustement » des services des enseignants. La combativité de l’APPEP n’aura pas été vaine : le cadrage horaire national et égalitaire en Première et en Terminale ainsi que la séparation de l’épreuve et de la correction sont désormais garantis. C’est là un acquis incontestable. Les recommandations des groupes de lettres et de philosophie de l’Inspection générale ont ainsi permis des clarifications bienvenues.

Ces recommandations se heurtent toutefois à la contradiction constitutive d’HLP : il est impossible au lycée de maintenir un enseignement disciplinaire dans un cadre qui cherche à fusionner les disciplines.

Des épreuves d’examen inappropriées

Les épreuves d’examen confirment cette confusion. Si celle de Terminale n’est pas encore définie, on connaît la nature de l’exercice proposé à la fin de la Première aux candidats qui abandonneront HLP :

L’épreuve [d’une durée de deux heures] est composée de deux questions portant sur un texte relatif à l’un des thèmes du programme de première. L’une des questions, intitulée « question d’interprétation », appelle un travail portant sur la compréhension et l’analyse d’un enjeu majeur du texte. L’autre, appelée « question de réflexion à partir du texte », conduit le candidat à rédiger une réponse étayée à une question soulevée par le texte.

Chacun de ces deux exercices relève tantôt d’une approche philosophique, tantôt d’une approche littéraire, selon ce qu’indique explicitement l’intitulé du sujet. 1

Qui peut croire que les candidats, qui n’auront fait de la philosophie que deux heures par semaine pendant seulement un an, en même temps qu’ils se prépareront au « bac de français », distingueront réponse littéraire et réponse philosophique à des questions qui portent sur un même texte ? Dans ces conditions, la « correction partagée » est un leurre.

C’est la raison pour laquelle, dans le cadre imposé par la réforme, l’APPEP continue de demander deux programmes et deux épreuves, distincts et autonomes, sans lesquels cette spécialité entretiendra une confusion désastreuse pour la formation intellectuelle des élèves.

Par provision

Dans l’attente, il faut garantir un enseignement de la philosophie aux élèves qui choisiront HLP. Mais c’est mission impossible pour un professeur qui appliquerait le programme à la lettre. Les extraits de manuels qui commencent à circuler font d’ailleurs apparaître à ceux qui en doutaient que suivre la lettre du programme est une impasse pour l’enseignement de la philosophie. Il convient en revanche de prendre au sérieux les recommandations de l’IGEN, selon lesquelles :

a- l’enseignement [d’HLP] requiert une appropriation problématique et conceptuelle, ainsi qu’un cheminement d’ensemble dont le professeur prend la pleine et entière responsabilité intellectuelle ;

b- les entrées et les thèmes énoncés sont ouverts jusque dans l’orientation diachronique dont le programme rappelle qu’elle permet des allers et des retours entre l’époque contemporaine et la période de référence ; ils ne correspondent pas à des contenus de savoir spécialisés et à une progression déterminée à l’avance, mais restent ouverts à des approches libres et généralistes.

Cela revient à considérer le programme d’HLP comme un programme notionnel. Les professeurs chargés d’HLP pourraient ainsi aborder les deux thèmes de première comme deux notions : la parole et le monde. L’étude philosophique de ces notions communes et familières aux élèves leur permettra d’interroger et de clarifier leurs représentations ordinaires. Elle conduira à une authentique appropriation du programme et, appuyée sur des textes, préparera à l’épreuve du baccalauréat. Usant de façon idoine et adéquate de leur liberté pédagogique, les professeurs de philosophie feront ainsi découvrir aux élèves ayant choisi la spécialité HLP les méthodes et le questionnement proprement philosophiques.

Unir la profession, non la diviser

Le programme d’HLP rappelle par l’absurde les enjeux d’un programme de notions. Un programme de thèmes, de questions ou de problèmes, plus ou moins historiquement situés, impose des choix et des délimitations dont la pertinence et la légitimité suscitent des interrogations et peut-être même des soupçons sans fin. Un programme de philosophie ne doit pas diviser la profession, mais l’assurer dans ses principes communs : rendre possible la formation du jugement critique des élèves et garantir la liberté pédagogique des professeurs, condition du pluralisme doctrinal consubstantiel à l’enseignement de la philosophie.

Nicolas Franck,
président de l’APPEP
21 avril 2019

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  1. Note de service à paraître de la DGESCO, sur les « Épreuves communes de contrôle continu des enseignements de spécialité suivis uniquement pendant la classe de première de la voie générale, à compter de la session 2021 de l’examen du baccalauréat. »