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Capes 2022: un sujet opaque, discriminant et orienté

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L’APPEP déplore la nature du sujet tombé à la première épreuve du Capes externe de philosophie 2022, « Les maîtres de vérité », qui n’est qu’indirectement philosophique, empêche un égal traitement des candidats et est intellectuellement orienté, incitant les candidats à spéculer sur les attentes non formulées du jury notamment en vue de l’entretien de motivation. Ce choix de sujet fragilise un concours déjà affaibli par la suppression d’un oral disciplinaire au profit d’un entretien.

À l’évidence, l’expression «les maîtres de vérité» a bien moins à voir avec la notion de vérité, donc avec le programme de philosophie en terminale, qu’avec le premier des quatre volets du programme de la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie (HLP) : « la parole, ses pouvoirs, ses fonctions et ses usages ». Si le programme du Capes de philosophie a récemment intégré celui de HLP, ne faut-il pas s’inquiéter qu’à l’une des deux épreuves écrites du concours, les futurs professeurs de philosophie soient évalués presque exclusivement d’après leur maîtrise, non du programme de philosophie, mais de celui de HLP ? La spécialité HLP serait-elle devenue la norme pour l’enseignement de la philosophie ?

Ce sujet est une citation du livre de Marcel Detienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque (1967). Or si Detienne donne à «maîtres de vérité» une signification précise et documentée, l’expression ne renvoie à rien d’idiomatique dans la langue française ; en soi elle n’a aucun sens déterminé. Les candidats qui avaient lu le livre de Detienne auront été nettement avantagés non seulement pour traiter le sujet, mais même pour le comprendre. Rappelons qu’afin de préserver l’égalité entre les candidats, un sujet de concours ne doit présupposer aucune connaissance spécifique. Certes il y a déjà eu des entorses à ce principe ; certains sujets de concours ont pu faire allusion à un auteur ou à sa pensée. Mais ces sujets demeuraient pourvus d’un sens déterminé pour qui ne connaissait pas leur contexte d’origine. Ici l’allusion devient citation et il fallait connaître le contenu d’un livre pour comprendre le sujet : ce degré de discrimination entre les candidats est inédit.

En citant le livre de Detienne, le sujet envisage la notion de vérité par le prisme de la parole entendue comme production de vérité, donc à travers la rhétorique et la sophistique (au sens large). Cette approche correspond parfaitement au programme de HLP, mais elle est surprenante sinon contestable concernant la notion de vérité elle-même. En outre, citer le titre d’un ouvrage dans un sujet de concours ne peut qu’encourager les candidats à se demander quel type de philosophie le jury attendrait d’eux, et quelles philosophies il proscrirait au contraire. Ces spéculations ne peuvent être que décuplées cette année avec l’inauguration de l’épreuve d’entretien, durant laquelle le candidat doit présenter «notamment ses travaux de recherche, les enseignements suivis, les stages, l’engagement associatif ou les périodes de formation à l’étranger»1. L’APPEP a déjà relevé que cet entretien de motivation invitait les candidats à se conformer aux orientations philosophiques et aux positions universitaires des membres du jury2. Cette tendance ne peut qu’être encouragée par un sujet sur le fond très polémique, puisqu’il s’en prend à la notion même de vérité et met en question la nature du métier de professeur de philosophie. On imagine aujourd’hui le désarroi des candidats qui se préparent à l’oral du concours.

Il est fort regrettable que pour inaugurer le Capes nouvelle formule, le jury ait choisi un sujet aussi opaque, discriminant entre les candidats, orienté, et témoignant d’une évidente prédilection pour HLP plutôt que pour… la philosophie et son enseignement. À l’heure où le président-candidat promet la suppression du Capes, le concours est ainsi étrangement fragilisé par ceux qui sont censés le défendre.

Téléchargement des fichiers liés

  1. Présentation des épreuves du Capes section philosophie à compter de la session 2022
  2. «Les candidats qui auront travaillé sur tel auteur, suivi les cours de tel professeur ou engagé un travail de recherche sous la direction de tel universitaire seront-ils assurés de se trouver face à un jury indifférent aux effervescences du moment ? Il serait illusoire d’ignorer les querelles légitimes, mais aussi les inimitiés, qui traversent la profession», éditorial du 28 mars 2021.