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Audience auprès du cabinet du ministre

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Participaient à cette audience, qui s’est tenue le 10 mars 2023 :
Pour le ministère : Thomas Leroux (conseiller aux affaires pédagogiques et aux savoirs fondamentaux), Jules Hanochian, stagiaire.
Pour l’Appep : Marie Perret (présidente), Nicolas Franck (membre du Bureau national, en remplacement de Vincent Renault, vice-président, empêché ce jour-là).

Cette audience, reportée à deux reprises, n’aura duré qu’une heure. Ce temps a été malheureusement insuffisant pour aborder tous les points que nous aurions voulu développer.


Le rapport de l’enquête


Nous rappelons que nous avons sollicité cette audience pour porter à la connaissance du ministère le rapport de l’enquête sur l’année 2021-2022 et sur la session du baccalauréat 2022. Le nombre des réponses, par ailleurs substantielles, est exceptionnellement élevé. Ce rapport dit par conséquent quelque chose de ce que vivent et pensent les professeurs de philosophie.

Nous présentons les points saillants de ce rapport.

Pour l’année 2021-2022, le constat, largement partagé, d’une marginalisation de l’enseignement de la philosophie au lycée ; l’épuisement généré par l’alourdissement de la charge de travail — l’éclatement des services et l’augmentation du nombre d’élèves rendant la charge de correction écrasante ; la multiplication des missions en fin d’année scolaire ; le désarroi de nos collègues qui s’interrogent parfois sur le sens de leur métier et sur l’avenir de l’enseignement de la philosophie ; les difficultés et tracasseries auxquelles ils sont en butte quand ils veulent organiser des devoirs sur table en quatre heures ; les pressions qu’ils subissent sur leur évaluation et, parfois, à l’occasion des appréciations qu’ils renseignent dans les bulletins ; l’insatisfaction, enfin, suscitée par la spécialité HLP : les programmes sont trop historiques, lourds et ambitieux, et par conséquent inadaptés à des élèves dont le niveau est parfois fragile ; l’épreuve est inutilement compliquée, et oblige les professeurs à initier leurs élèves, en six mois, à des exercices mal définis et différents de ceux auxquels ils sont préparés en lettres et en philosophie. Nous rappelons nos deux demandes : une spécialité lettres et philosophie avec deux programmes séparés ; une explication de texte en quatre heures, portant sur un extrait littéraire ou philosophique laissé au libre choix du candidat.

La dernière session du baccalauréat a suscité mécontentement et incompréhension. Nos collègues font état de l’injonction très forte, au moment des réunions d’entente et d’harmonisation, à bonifier les notes de l’épreuve d’HLP. Ils déplorent, par ailleurs, l’opacité de la procédure de l’examen. Peu de collègues ont été convoqués dans les jurys de délibération. Ceux qui y ont siégé ignoraient ce qu’ils étaient censés faire. Nous interrogeons Thomas Leroux sur la date à laquelle siégeront les jurys académiques, leurs prérogatives et les critères à partir desquels ils harmoniseront les notes. S’ensuit un échange confus. Nous n’obtenons aucune information sur le calendrier. Thomas Leroux nous assure toutefois que les jurys académiques n’harmoniseront pas les notes des épreuves de spécialité. Le travail d’harmonisation incombera, comme avant, aux commissions de correcteurs.

Thomas Leroux fait valoir la faible représentativité de l’enquête.

15 % de nos collègues y ont répondu. Ce chiffre est conséquent, d’autant que les questions sont nombreuses et que les réponses ne sont pas anonymes. Certains collègues, sans doute pour ne pas avoir à se répéter, ne renseignent le questionnaire qu’une année sur deux. Les rapports publiés chaque année ont été téléchargés plusieurs milliers de fois et donnent lieu à de nombreux messages d’encouragement et de remerciement. Tout cela témoigne de la confiance que nos collègues accordent à l’Appep mais aussi de la représentativité que nos enquêtes revêtent à leurs yeux.

Selon Thomas Leroux, tous les professeurs de philosophie ne partagent pas ces constats ni ce désarroi. Ainsi, tous ne considèrent pas, tant s’en faut, la spécialité HLP comme un échec. Nous lui opposons les données statistiques : parmi les sept spécialités que les lycées doivent proposer aux élèves, HLP est la moins choisie ; elle est massivement abandonnée en fin de première ; le déséquilibre entre filles et garçons y est particulièrement sensible. Thomas Leroux répond qu’il ne dispose pas des mêmes données et qu’il ne veut pas s’engager dans une bataille « chiffres contre chiffres ». Nous exprimons notre étonnement. Par ailleurs, l’abandon de cette spécialité en fin de Première n’est pas pour lui le signe d’un échec : les élèves voient un intérêt à suivre pendant une année cette spécialité et en tirent parti dans le Supérieur. Il reconnaît néanmoins que l’attractivité d’HLP doit être renforcée. Ce renforcement passe, à ses yeux, par une meilleure information auprès des élèves et une plus grande collaboration des professeurs de lettres et de philosophie. Les groupes de lettres et de philosophie de l’IGÉSR travaillent en ce sens. Un séminaire a été ainsi organisé le 3 février dernier dans le cadre du Plan national de formation.

Il nous aura été impossible de savoir quelle était la source de ces fameux chiffres qui, selon notre interlocuteur, témoigneraient du succès de la spécialité HLP. Nous prenons acte, par ailleurs, d’un changement de position du ministère sur ce point : lors de l’audience que Thomas Leroux nous avait accordée en juillet dernier, celui-ci avait admis que cette spécialité était un échec.

 
La communication aux élèves des notes obtenues aux épreuves de spécialité


Nous faisons part de notre colère à propos de la communication aux élèves, dès la mi-avril, des notes qu’ils auront obtenues aux épreuves de spécialité. Nous expliquons que l’épreuve de philosophie sera encore plus vidée de son enjeu puisque les élèves connaîtront, dès cette date, 82 % de leur note finale. Nous craignons un absentéisme massif. Quand bien même les élèves continueraient à venir en cours, le climat dans les classes risque d’être délétère et peu propice au travail. Les professeurs seront exposés aux éventuelles récriminations de leurs élèves. Nous rappelons notre demande du report des épreuves de spécialité en juin. L’année de Terminale ne doit pas être gouvernée par Parcoursup : elle doit permettre aux élèves de se préparer sereinement à l’examen du baccalauréat et à leurs études supérieures.

Thomas Leroux nous oppose la position du Conseil national de la vie lycéenne (CNVL) : les lycéens ne souhaitent pas ce changement de calendrier et veulent que les notes obtenues aux épreuves de spécialité soient prises en compte dans leur dossier Parcoursup. La possibilité donnée aux élèves de connaître ces notes est une question de transparence. Thomas Leroux ne partage pas notre crainte d’un absentéisme massif au troisième trimestre. Consigne sera en effet donnée aux chefs d’établissement de porter la mention « doit faire ses preuves » sur le livret des élèves qui n’auront pas été assidus. Nous lui objectons que ces mentions n’ont guère d’enjeu. Thomas Leroux répond que les élèves ne travaillent pas seulement en vue du baccalauréat. Si tel est encore le cas pour certains, alors il faut changer cette « culture de l’examen », trop hégémonique dans le système éducatif français. Nous soulignons que l’introduction du contrôle continu va à l’encontre de cet objectif : pour les élèves, l’examen est constant puisque chaque note compte pour le baccalauréat. Thomas Leroux en convient. C’est par conséquent l’évaluation elle-même qu’il faut repenser. Pour éviter « l’effet couperet » que peut avoir, dans l’esprit des élèves, chaque devoir noté, il faudrait tenir compte de leur progression sur les deux années du cycle terminal. Il nous informe, enfin, que l’IGÉSR a commencé de publier des ressources que les professeurs pourront utiliser au troisième trimestre pour préparer la transition entre l’enseignement secondaire et supérieur. Il s’agit, en particulier, de nouer des partenariats avec des écoles post-baccalauréat dans le cadre des « cordées de la réussite ».

En appelant à une rupture avec la «culture de l’examen», le ministère reconnaît implicitement que le baccalauréat n’existe plus ou, du moins, qu’il n’est plus un enjeu déterminant du cycle terminal. Par ailleurs, son souhait de revoir la «culture de l’évaluation» laisse perplexe. Il s’agirait de minorer l’importance des évaluations «ponctuelles» pour tenir compte de la progression des élèves sur deux ans. Une telle manière d’évaluer les élèves est impraticable, a fortiori en philosophie : sur quels critères se régler et sur quels éléments s’appuyer quand on ne suit ses élèves qu’en classe terminale? La redéfinition des enjeux du troisième trimestre, enfin, prépare une autre révolution culturelle : il s’agira moins de traiter les programmes et de préparer les élèves à l’épreuve de philosophie que de «travailler autrement», en mettant en valeur les «compétences transversales» et en travaillant «en collaboration avec les professeurs des universités et des écoles supérieures de l’académie ou des sections d’enseignement supérieur présentes dans les lycées» (Eduscol).


Nous exposons deux demandes.


Réévaluer le coefficient de l’épreuve de philosophie


Le coefficient affecté à l’épreuve de philosophie apparaît comme une anomalie. Il est inférieur à celui de l’épreuve de grand oral, laquelle, pourtant, ne demande aux élèves ni les mêmes efforts ni le même investissement que la préparation de l’épreuve de philosophie. Par ailleurs, rien ne justifie l’infériorité de ce coefficient par rapport à celui de l’épreuve anticipée de français.

Thomas Leroux s’étonne de cette demande. Les élus du CNVL, en effet, s’ils ont dit leur fierté de faire de la philosophie — mais aussi la crainte que suscite parfois une épreuve très ritualisée et « patrimoniale » —, n’ont jamais évoqué la question du coefficient. Il souhaite savoir si cette demande procède d’une « revendication d’égale dignité des disciplines ». Nous répondons que le problème n’est pas du tout là. Il s’agit de tenir compte du travail des élèves qui, toute l’année, s’efforcent de s’approprier des méthodes exigeantes, d’interroger leurs croyances spontanées, de lire des écrits philosophiques. Le coefficient de l’épreuve à laquelle ils se préparent quatre heures par semaine ne récompense pas ce travail.


Dédoubler la deuxième heure de philosophie dans la voie technologique


Nous insistons sur notre demande, constamment réitérée, du dédoublement de la deuxième heure de philosophie dans la voie technologique. Nous rappelons une fois encore la nécessité pédagogique de ces heures dédoublées : elles permettent aux élèves de progresser dans la réflexion critique, de s’approprier les méthodes, mais aussi de mieux se préparer à l’épreuve de grand oral. Les élèves de la voie technologique, en effet, sont souvent plus sensibles au regard de leurs camarades et osent davantage formuler leurs idées quand ils sont en demi-groupe. Cette heure dédoublée, enfin, facilite le travail et la progression en classe entière.

Thomas Leroux est conscient de l’intérêt du dédoublement. Il semble aussi admettre que les professeurs de philosophie sont souvent démunis pour convaincre leur chef d’établissement de leur céder ces heures dédoublées. Mais, nous explique-t-il, l’obstacle est comptable : ce dédoublement a un coût dont il n’est pas certain que le ministère puisse l’assumer.


L’épreuve du grand oral


S’ensuit un échange nourri sur l’épreuve de grand oral. Pour notre interlocuteur, celle-ci est « l’épreuve maîtresse du nouveau baccalauréat ». Il est crucial que les élèves français, trop peu formés en la matière, acquièrent les compétences orales. Nous en convenons. Nous expliquons, toutefois, les raisons pour lesquelles cette épreuve, loin de servir l’oralité, la dessert. Qu’elle soit si peu adossée à des savoirs disciplinaires la réduit à une performance rhétorique creuse. Les élèves doivent préparer deux questions, ce qui est trop. Ils devraient se concentrer sur une seule pour que leur oral témoigne d’un travail substantiel de recherche et de réflexion. La présence d’un « professeur naïf » siégeant au jury est absurde. Les candidats sont les premiers à s’étonner de la teneur de leurs questions, parfois sans rapport avec le sujet sur lequel ils ont travaillé — ou de leur absence de questions. Enfin, la dernière partie de l’épreuve, consacrée à la présentation de leur projet d’orientation, a quelque chose de cruel : elle oblige les candidats dont les vœux n’ont pas été acceptés à défendre un projet qui, pour cette raison, n’a plus de sens. En tout état de cause, il est nécessaire de repenser la nature, le format et les attendus de cette épreuve. L’épreuve orale sur dossier à laquelle donnait lieu la spécialité DGEMC offre un modèle dont on pourrait s’inspirer.


L’avenir des CPGE


Nous interrogeons Thomas Leroux à propos des CPGE. Nous savons qu’une mission de l’IGÉSR est en cours. Nous demandons quelle est la politique du ministère en la matière. Notre interlocuteur nous assure de l’attachement du ministère aux CPGE : ces filières d’excellence sont gratuites et favorisent l’ascenseur social.


Le Prix lycéen du livre de philosophie


Nous demandons que le Prix lycéen du livre de philosophie, créé par notre association en 2015, figure à nouveau dans les actions éducatives du ministère. Nous précisons que ce Prix mobilise des professeurs qui ne sont pas tous adhérents de l’Appep, et qui ne sont pas tous professeurs de philosophie. Nous insistons sur l’engouement qu’il suscite (plus de deux mille élèves, venant d’une grosse centaine de lycées, seront cette année membres du jury) et sur ce qu’il apporte aux élèves qui y participent. Ce Prix leur donne l’occasion de découvrir la philosophie contemporaine, d’échanger librement sur trois ouvrages, entre eux et avec les auteurs, de réfléchir à des questions qui les intéressent directement. L’inscription du Prix dans les actions éducatives du ministère serait une façon de reconnaître cet intérêt, mais aussi l’investissement des professeurs et des élèves qui le font vivre chaque année.

Notre interlocuteur salue l’initiative de ce Prix et promet de réfléchir à la reconnaissance institutionnelle que nous appelons de nos vœux.

Nous remercions Thomas Leroux de nous avoir reçus.