Chapitre IV – Sources et installation de la laïcité scolaire

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La laïcité de l’école n’est pas une question isolée des autres questions investies par la laïcité. Elle constitue plutôt pour la laïcité une question névralgique. Aucune idée politique, en effet, aucun principe d’organisation sociale, n’ignore les questions d’éducation et d’enseignement. C’est par l’école que les sociétés transmettent leurs valeurs et parfois le patrimoine universel de l’humanité. C’est pourquoi, comme toute idée politique et sociale, la laïcité s’attache aux questions d’école, de transmission et d’enseignement. Mais dans une société laïque, les enjeux éducatifs prennent une acuité particulière dans la mesure où la société s’en remet intégralement à la science, à l’expérience et à la responsabilité humaines. Si le peuple est maître de son destin et si l’autorité politique n’est pas légitimée par une puissance transcendante, chacun a le droit et le devoir d’être instruit pour tenir son rôle de citoyen. La laïcité a ainsi une dimension proprement intellectuelle et morale autant que politique (voir textes III.7, III.8, III.9). De là l’importance décisive de l’école pour la République laïque qui s’assure elle-même en permettant à chacun l’acquisition de connaissances communes et indispensables.

On comprend alors que la séparation de l’école publique et de l’Église catholique ait pu historiquement précéder, de deux décennies, la séparation en 1905 des Églises et de l’État. L’œuvre de laïcisation de l’école a répondu au projet de rendre solide et durable la « société moderne » issue de 1789. La « rénovation scolaire » de la IIIe République est une révolution légale et pacifique qui consolide la Révolution française. À partir de la nomination de Jules Ferry comme ministre de l’Instruction publique le 4 février 1879 et celle, quelques jours plus tard, de Ferdinand Buisson comme directeur de l’Enseignement primaire, s’enclenche un processus de débats parlementaires qui seront sanctionnés par une série de lois et de textes réglementaires fondateurs de l’école laïque. La loi du 1er août 1879 établit des Écoles normales primaires de filles dans chaque département. La loi du 27 février 1880 laïcise le Conseil supérieur de l’Instruction publique, les ecclésiastiques n’en faisant désormais plus partie. Viennent ensuite les lois du 16 juin 1881, l’une qui établit la gratuité de l’enseignement primaire et l’autre qui impose aux maîtres et maîtresses de l’enseignement primaire l’obligation d’être titulaires d’un brevet de capacité délivré par l’État, alors que les deux tiers des institutrices congréganistes ne disposaient pas de ce titre. La loi du 30 octobre 1886, enfin, laïcise le personnel enseignant.

Mais la loi centrale est le texte sur l’enseignement primaire obligatoire, adopté le 28 mars 1882 au terme de longs débats. Cette loi laïcise l’enseignement lui-même, dans son fonctionnement et ses programmes. L’instruction morale et civique est inscrite en tête du programme d’enseignement primaire. Elle se substitue à l’instruction morale et religieuse. L’instruction religieuse cesse ainsi d’être dispensée à l’école publique. Ce choix de séparer l’Église et l’école publique est confirmé par l’article 2 de la loi du 28 mars 1882 qui dispose que les écoles publiques « vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner s’ils le désirent, à leurs enfants, l’instruction religieuse en dehors des édifices scolaires ». Tout en soustrayant l’école publique de la tutelle de l’Église catholique, la loi garantit l’exercice effectif des cultes en laissant aux familles la possibilité de faire donner à leurs enfants une instruction religieuse en milieu de semaine en dehors des locaux scolaires, désormais neutres. Elle prépare en cela la grande loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 (voir textes I.2, I.3, I.4.).

Les trois premiers textes qui suivent sont antérieurs à l’avènement historique de l’école laïque. Ils sont cependant emblématiques de ce que deviendra la laïcité : avec Condorcet (texte IV.1) et Quinet (texte IV.2), nous remontons aux sources vives de la laïcité scolaire de la IIIe République. Un décret de la Commune de Paris (texte IV.3), trop rarement invoqué parmi les sources de la laïcité scolaire, témoigne de la visée d’une école indépendante de l’Église, conçue comme un lieu neutre et une source de fraternité autour de l’instruction. Les quatre textes suivants sont représentatifs des enjeux de la période instauratrice de l’école laïque et des débats qui l’ont traversée, à travers quatre figures emblématiques de la laïcité scolaire de la IIIe République : Ferry (texte IV.4), Durkheim (texte IV.5), Jaurès (texte IV.6) et Buisson (texte IV.7). Parmi ces enjeux, la question de la solidarité s’est d’emblée imposée comme une question centrale (texte IV.8). Les deux circulaires du Ministre de l’Éducation nationale du Front populaire Jean Zay (texte IV.9) confirment l’exigence de préserver l’école laïque des manifestations d’appartenance religieuse.

 

IV.1 – L’instruction publique

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Ressources proposées par l’APPEP pour l’enseignement moral et civique.