IV.1 – L’instruction publique

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Même si le terme laïcité ne sera en usage qu’à la fin du XIXe siècle, les fondateurs de la laïcité scolaire se sont expressément revendiqués du Projet de décret sur l’organisation de l’instruction publique (1792), au point de considérer que Condorcet avait conçu un siècle auparavant ce qu’ils étaient en train de réaliser. S’appuyant sur le principe républicain d’égalité de droits et sur « les droits de la conscience », Condorcet recommande de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux. C’est précisément ce qu’établira la loi de 1882. Penseur emblématique des Lumières et référence majeure de la laïcité républicaine, Condorcet expose le projet de rendre la raison populaire par un système d’instruction ouvert à tous. L’idée rencontrera un écho direct chez Henri Marion, philosophe de la IIIe République selon lequel la rénovation de l’instruction publique de la IIIe République tend à jeter les bases d’une « culture rationnelle pour l’universalité du peuple » (Henri Marion, « Cours sur la science de l’éducation. Leçon d’ouverture » (1883), dans Pierre Hayat, La raison dans l’éducation. Henri Marion et l’instruction publique, Kimé, 2012, p. 88).

 

Les principes de la morale enseignés dans les écoles et dans les instituts, seront ceux qui, fondés sur nos sentiments naturels et sur la raison, appartiennent également à tous les hommes. La Constitution, en reconnaissant le droit qu’a chaque individu de choisir son culte, en établissant une entière égalité entre tous les habitants de la France, ne permet point d’admettre, dans l’instruction publique, un enseignement qui, en repoussant les enfants d’une partie des citoyens, détruirait l’égalité des avantages sociaux, et donnerait à des dogmes particuliers un avantage contraire à la liberté des opinions. Il était donc rigoureusement nécessaire de séparer de la morale les principes de toute religion particulière, et de n’admettre dans l’instruction publique l’enseignement d’aucun culte religieux.

Chacun d’eux doit être enseigné dans les temps, par ses propres ministres. Les parents, quelle que soit leur opinion sur la nécessité de telle ou telle religion, pourront alors sans répugnance envoyer leurs enfants dans les établissements nationaux ; et la puissance publique n’aura point usurpé sur les droits de la conscience, sous prétexte de l’éclairer et de la conduire.

D’ailleurs, combien n’est-il pas important de fonder la morale sur les seuls principes de la raison ! Quelque changement que subissent les opinions d’un homme dans le cours de sa vie, les principes établis sur cette base resteront toujours également vrais, ils seront toujours invariables comme elle ; il les opposera aux tentatives que l’on pourrait faire pour égarer sa conscience ; elle conservera son indépendance et sa rectitude, et on ne verra plus ce spectacle si affligeant d’hommes qui s’imaginent remplir leurs devoirs en violant les droits les plus sacrés, et obéir à Dieu en trahissant leur patrie.

Ceux qui croient encore à la nécessité d’appuyer la morale sur une religion particulière doivent eux-mêmes approuver cette séparation : car sans doute ce n’est pas la vérité des principes de la morale qu’ils font dépendre de leurs dogmes ; ils pensent seulement que les hommes y trouvent des motifs plus puissants d’être justes ; et ces motifs n’acquerront-ils pas une force plus grande sur tout esprit capable de réfléchir, s’ils ne sont employés qu’à fortifier ce que la raison et le sentiment intérieur ont déjà commandé ?

Dira-t-on que l’idée de cette séparation s’élève trop au-dessus des lumières actuelles du peuple ? Non, sans doute, car, puisqu’il s’agit ici d’instruction publique, tolérer une erreur, ce serait s’en rendre complice ; ne pas consacrer hautement la vérité, ce serait la trahir. Et quand bien même il serait vrai que des ménagements politiques dussent encore, pendant quelque temps, souiller les lois d’une nation libre ; quand cette doctrine insidieuse ou faible trouverait une excuse dans cette stupidité qu’on se plaît à supposer dans le peuple, pour avoir un prétexte de le tromper ou de l’opprimer ; du moins l’instruction qui doit amener le temps où ces ménagements seront inutiles, ne peut appartenir qu’à la vérité seule, et doit lui appartenir tout entière.

 

CONDORCET, « Extrait du rapport et projet de décret sur l’organisation de l’instruction publique », 1792 (éd. Compayré, 1883), La République et l’école. Une anthologie, préface d’Élisabeth Badinter, textes choisis et présentés par Charles Coutel, Presses Pocket, 1991, pp. 211-214.

 

IV.2 – La laïcité s’enseigne elle-même

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