III.1 – Préconisations pour l’application du principe de laïcité

Le Président de la République Jacques Chirac a confié en 2003 à Bernard Stasi une mission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République en vue de « promouvoir une laïcité garante de la cohésion nationale et du respect des différences de chacun ». Une commission, présidée par Bernard Stasi, a auditionné des élus, des représentants des partis politiques, des associations de sensibilité et de nature diverses, des syndicats, des responsables d’établissements scolaires, d’hôpitaux, de prisons, d’entreprises. Au terme de ces auditions, un rapport détaillé a été remis le 11 décembre 2003 au Président de la République. La conclusion du rapport comporte des préconisations concrètes qui confirment que la laïcité n’est pas enfermée dans son indispensable cadre juridique. Certaines de ces propositions ont été entendues, d’autres sont demeurées sans suite ou ont été reprises sous d’autres formes.

 

La dernière recommandation concerne ce qui deviendra la loi du 15 mars 2004 interdisant aux élèves de l’école publique le port de signes religieux ostensibles. Le rapport souligne qu’« à l’école, le port d’un signe religieux ostensible – grande croix, kippa, ou voile – suffit à troubler la quiétude de la vie scolaire ». Il précise d’une façon fort pédagogique que « par-delà le statut des cultes, l’exigence laïque demande aussi à chacun un effort personnel. Le citoyen bénéficie, par la laïcité, de la protection de sa liberté de conscience ; en contrepartie, il doit respecter l’espace public que tous peuvent partager. Revendiquer la neutralité de l’État semble peu conciliable avec l’affichage d’un prosélytisme agressif, particulièrement dans l’espace scolaire. Accepter d’adapter l’expression publique de ses particularités confessionnelles, de mettre des bornes à l’affirmation de son identité permet la rencontre de tous dans l’espace public. C’est ce que les Québécois qualifient parfois d’‹accommodements raisonnables›. L’esprit de la laïcité requiert cet équilibre des droits et de devoirs. » (Rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité remis au Président de la République le 11 décembre 2003. Commission présidée par Bernard Stasi, La Documentation française, 2004, p. 90 ; pp. 37-38).

 

La loi du 9 décembre 1905 a affirmé la séparation de l’Église et de l’État. La question laïque ne se pose plus aujourd’hui dans les mêmes termes. En un siècle, la société française est devenue, sous l’effet de l’immigration, diverse sur le plan spirituel et religieux. L’enjeu est aujourd’hui de ménager leur place à de nouvelles religions tout en réussissant l’intégration et en luttant contre les instrumentalisations politico-religieuses. Il s’agit de concilier l’unité nationale et le respect de la diversité. La laïcité, parce qu’elle permet d’assurer une vie commune, prend une nouvelle actualité. Le vivre ensemble est désormais au premier plan.

Pour cela, la liberté de conscience, l’égalité de droit, et la neutralité du pouvoir politique doivent bénéficier à tous, quelles que soient leurs options spirituelles. Mais il s’agit aussi pour l’État de réaffirmer des règles strictes, afin que ce vivre en commun dans une société plurielle puisse être assuré. La laïcité française implique aujourd’hui de donner force aux principes qui la fondent, de conforter les services publics et d’assurer le respect de la diversité spirituelle. Pour cela, l’État se doit de rappeler les obligations qui s’imposent aux administrations, de supprimer les pratiques publiques discriminantes, et d’adopter des règles fortes et claires dans le cadre d’une loi sur la laïcité.

 

Un rappel des obligations auxquelles les administrations sont assujetties

Lutter fermement contre le racisme et l’antisémitisme. Inviter à cet égard les administrations à la plus grande fermeté, notamment dans le secteur de l’éducation nationale.

Faire respecter strictement les règles d’obligation scolaire et le contenu des programmes.

Faire de la laïcité un thème majeur de l’instruction civique, à l’occasion notamment d’une « Journée de Marianne ».

Mieux assurer l’enseignement du fait religieux.

Inviter les administrations à prévoir des mets de substitution dans les cantines publiques.

Adopter solennellement une charte de la laïcité qui serait remise à différentes occasions : lors de la remise de la carte d’électeur, dans le cadre de la formation initiale des agents du service public, à la rentrée des classes, lors de l’accueil des migrants – qu’un contrat d’accueil et d’intégration soit signé ou non – ou lors de l’acquisition de la nationalité. La commission préconise qu’elle soit aussi affichée dans les lieux publics concernés.

Insérer la laïcité dans le programme des journées de préparation à la défense nationale.

Inviter les administrations à prendre en compte les impératifs religieux funéraires.

 

La suppression des pratiques publiques discriminantes

Encourager la destruction des ghettos urbains par le remodelage des villes.

Rendre possible l’accès à l’école publique dans toutes les communes.

Donner dans les communes la priorité aux équipements sportifs communs favorisant le brassage social.

En Alsace-Moselle, inclure l’Islam au titre des enseignements religieux proposés et laisser ouvert le choix de suivre ou non un enseignement religieux.

Supprimer les Enseignements des Langues et Cultures d’Origine (ELCO) et les remplacer progressivement par l’enseignement des langues vivantes. L’enseignement de langues non étatiques nouvelles doit être envisagé (par exemple, berbère, kurde). Développer l’apprentissage de la langue arabe dans le cadre de l’éducation nationale et non dans les seules écoles coraniques.

Assurer un enseignement complet de notre histoire en y intégrant l’esclavage, la colonisation, la décolonisation et l’immigration.

Rééquilibrer le soutien apporté aux associations au profit des associations culturelles.

Recruter des aumôniers musulmans dans l’armée et dans les prisons.

Mettre en place une autorité de lutte contre les discriminations.

Donner aux courants libres-penseurs et aux humanistes rationalistes un accès équitable aux émissions télévisées de service public.

 

L’adoption d’une loi sur la laïcité

Cette loi comporterait un double volet : d’une part, préciser les règles de fonctionnement dans les services publics et les entreprises ; d’autre part, assurer la diversité spirituelle de notre pays.

a) Le fonctionnement de services publics

Affirmer le strict respect du principe de neutralité par tous les agents publics. Inclure l’obligation de neutralité des personnels dans les contrats conclus avec les entreprises délégataires de service public et avec celles concourant au service public. À l’inverse, préciser que les agents publics ne peuvent être récusés en raison de leur sexe, race, religion ou pensée.

Prévoir que les usagers des services publics doivent se conformer aux exigences de fonctionnement du service public.

Adopter pour l’école la disposition suivante : « Dans le respect de la liberté de conscience et du caractère propre des établissements privés sous contrat, sont interdits dans les écoles, collèges et lycées, les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique. Toute sanction est proportionnée et prise après que l’élève a été invité à se conformer à ses obligations » ; cette disposition serait inséparable de l’exposé des motifs suivant : « Les tenues et signes religieux interdits sont les signes ostensibles, tels que grande croix, voile ou kippa. Ne sont pas regardés comme des signes manifestant une appartenance religieuse les signes discrets que sont par exemple médailles, petites croix, étoiles de David, mains de Fatma, ou petits Coran ».

Prévoir dans la loi sur l’enseignement supérieur la possibilité d’adopter un règlement intérieur rappelant aux étudiants les règles liées au fonctionnement du service public.

Compléter la loi hospitalière pour rappeler aux usagers leurs obligations, notamment l’interdiction de récuser du personnel soignant ou le respect des règles d’hygiène et de santé publique.

Insérer dans le code du travail un article pour que les entreprises puissent intégrer dans leur règlement intérieur des dispositions relatives aux tenues vestimentaires et au port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, au contact avec la clientèle ou à la paix sociale interne.

b) Le respect de la diversité spirituelle

Faire des fêtes religieuses de Kippour et de l’Aïd-El-Kebir des jours fériés dans toutes les écoles de la République. Dans le monde de l’entreprise, permettre aux salariés de choisir un jour de fête religieuse sur leur crédit de jours fériés.

Créer une école nationale d’études islamiques.

 

La commission s’est prononcée à l’unanimité des présents sur l’ensemble des propositions et, sous réserve d’une abstention, sur la proposition relative à l’interdiction du port de tenues et signes religieux et politiques dans les établissements d’enseignement. La commission est convaincue que ses propositions peuvent affermir l’existence de valeurs communes dans une laïcité ouverte et dynamique capable de constituer un modèle attractif et fédérateur. La laïcité n’est pas qu’une règle du jeu institutionnel, c’est une valeur fondatrice de notre pacte républicain, car, en respectant le pluralisme, elle facilite le vivre ensemble et contribue à l’unité de la communauté nationale.

 

Conclusion du Rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité remis au Président de la République le 11 décembre 2003. Commission présidée par Bernard Stasi, La Documentation française, 2004, pp. 145-151.

 

III.2 – Préserver du morcellement communautariste

Retour à la table des matières

Ressources proposées par l’APPEP pour l’enseignement moral et civique.